Dans Pimp, le premier volet de cette trilogie, Iceberg Slim nous entraînait sur les chemins de sa vie. Un récit autobiographique sur le Chicago des années quarante-cinquante où le Black n’a d’autre moyen pour se sortir de sa misère que d’être maquereau dealer. Trick Baby, le deuxième volet, n’est que le prolongement du premier sur le registre de l’arnaque, à une différence près : le personnage principal n’est plus Iceberg Slim, mais un Noir à la peau blanche et aux yeux bleus qu’il a rencontré en prison. Le dernier volet de ces « romans de rue », Mama Black Widow, tranche avec les deux précédents : le héros principal est un personnage réel, et de surcroît un travesti.
« Iceberg, c’est pas pour le fric que je veux raconter mon histoire. Je le fais pour mon pauvre disparu de Papa, et pour moi ; je le fais pour les milliers d’hommes, des noirs comme lui, tous dans les chambres de torture du ghetto qui sont, et seront, négrifiés, émasculés par le pouvoir blanc, par ses flics, par tous ces dingues de la gâchette. Cette société de merde est tordue, corrompue de haut en bas. Flicaille, juges, procureurs se donnent la main pour piéger les homos et les boucler le plus longtemps possible. Ces salopards hystériques veulent punir le suceur de bite, le pédé brûlant de se faire enculer, qui se trémousse dans leurs têtes. » Ce sont les propos d’Otis, car tel est son nom, que Iceberg Slim nous relate dans la préface de son roman.

Iceberg Slim est capable de nous parler de l’envers du ghetto alors qu’il n’a jamais rien eu à voir avec ce monde ! Comment mettre en scène cet univers dont parle Otis sans tomber dans les travers du misérabilisme tout en évitant les écueils d’un militantisme gay dont il ne partage pas les revendications ?
Telle est la question posée, qu’il va résoudre en plongeant le lecteur dans un récit qui se déroule en deux temps : un temps marqué par le ghetto dans le Chicago des années 50-60, et ponctué par l’assassinat de Martin Luther King ; et un temps qui est celui de l’enfance dans les Etats du Sud, marqué par la ségrégation raciale. Et c’est là que le lecteur découvre que, contrairement aux apparences, le personnage principal de ce roman n’est pas Otis, mais une femme, sa mère. Elle est l’artisan de ce départ du Sud pour aller vers le nord, elle est celle qui va sortir de la soumission en transgressant le rôle qui lui était dévolu.

Mais qu’est-ce que le Nord ? Le Nord, c’est d’abord une ligne de démarcation Mason-Dixon, c’est aussi un Eldorado pour ceux qui souhaitent sortir de l’esclavagisme latent du Sud, de cet état d’esprit qui fait de vous des citoyens de seconde zone, marqués par les stigmates de la culpabilisation, de la soumission, de la négritude ! « Papa ne pouvait pas savoir que l’espoir, le respect de lui-même, sa dignité d’homme devaient dépérir sous l’effet de la répression brutale du Nord. Et comment aurait-il pu deviner que Mama allait devenir l’homme de la famille et lui la femme en quelque sorte ? » Un témoignage bouleversant exprimé dans un langage cru qui, à aucun moment, ne tombe dans le sentimentalisme.