L’écrivain Henri Calet ? S’il avait été américain, il aurait été « aussi célèbre que Caldwell ou Hemingway », affirme Raymond Guérin. De la part de cet auteur émérite des années 1940-1950 (Zobain, L’Apprenti), le compliment est loin d’être excessif. A la lecture du Bouquet, récit où Calet revient sur sa captivité en Allemagne, Roger Martin du Gard ne se privait pas non plus de faire référence à Hemingway. Il a malgré tout fallu attendre les années 1980 pour que l’écriture lucide et pointilliste de Calet soit reconsidérée dans toute son ampleur, sombre et laconique. Ses rééditions dans la collection « L’Imaginaire » de Gallimard (éditeur haï par Guérin et dont les frasques traversent ces 300 pages épistolaires) y sont bien sûr pour beaucoup. Mais sans la passion monomaniaque que le chercheur Jean-Pierre Baril consacre depuis des années à l’oeuvre de Calet, la publication de cette correspondance inédite n’aurait pas vu le jour. Baril a en effet eu l’opportunité de l’établir après avoir planché sur celle de Calet et de Jean Paulhan (à paraître chez Claire Paulhan). Au fil des lettres et cartes postales, le rôle prépondérant de Paulhan dans le paysage littéraire de la libération apparaît donc ici et là, souvent en filigrane. En parallèle, Baril achève sa biographie de Calet.

En attendant sa sortie, ces échanges entre Calet et Guérin tombent à pic et raviront spécialistes et amateurs de la (bonne) littérature d’après-guerre. Les autres découvriront, non sans surprise, le regard qu’un écrivain féru de correspondance comme Guérin peut porter sur l’évolution de son oeuvre et sur le labeur qu’elle réclame au quotidien. Guérin lit Calet, Calet lit Guérin : sans se passer la brosse à reluire, l’estime réciproque tourne à l’amitié profonde. Amitié à distance qui (et c’est toute l’originalité de cette correspondance puisée dans le fonds littéraire Jacques Doucet) ne s’appuie que sur une poignée de rencontres physiques entre les deux hommes, à tel point que Calet est au départ surpris par l’affection que lui porte Guérin, croisé à de rares occasions seulement. D’abord concis et prudent dans ses courriers, l’auteur du Tout sur le Tout se confie de plus en plus sereinement, en réponse aux autoportraits de Guérin : « Je me suis reconnu dans le portrait que vous faites de l’homme rebutant tout couvert d’épines, pas brillant, qui ne sait pas en mettre plein la vue, qui passe pour vaniteux alors que les épines meurtrissent sa propre chair ». Réponse plus volubile de Guérin : « Je sais votre effacement et votre pudeur ». Respect.

Des combines des prix littéraires aux difficultés du monde éditorial de l’époque (manque de papier, lacunes des services de presse) en passant par les nouvelles d’un réseau d’amis qui compte, entre autres, Francis Ponge, Jean Grenier et Albert Camus, les sujets d’échanges ne manquent pas. On retrouve le sens de l’image faussement désinvolte de Calet (sur le travail : « La meilleure façon de perdre son temps »), mais la palme des confessions enflammées et idéalistes revient au bordelais Guérin, plus fou de littérature que ne le fut Calet et jouant de sa distance avec la scène parisienne pour mieux en décrypter les coulisses. Prisonnier durant plus de trois ans dans un camp allemand, où il croise Cartier-Bresson et noircit 4 000 pages sans tenter de s’évader, Guérin se réadapte péniblement au monde des vivants. Il fait le tri des faux amis, « petits pissenlits égoïstes tous plus ou moins pourris par la collaboration ». Reste Calet, un homme d’une « aristocratie naturelle et inentamée ». La maladie précipite leur correspondance et Guérin meurt en 1955 : « Plus tard, si vous le voulez, nous reparlerons de lui », propose alors Calet à la femme de Guérin. Emporté à son tour l’année suivante par une crise cardiaque, la vie ne lui en a pas laissé le temps.