Une Américaine excentrique, Helene Hanff, férue de livres anciens mais peu fortunée, décide de s’adresser à une petite librairie anglaise (« j’aime les livres anciens et tous ceux que je voudrais avoir sont introuvables ici, en Amérique, sauf dans les éditions rares et très chères, ou bien chez Barnes and Noble, qui vend à des prix abusifs des exemplaires très défraîchis et ayant appartenu à des écoliers « ). Commence alors une relation épistolaire amicale et soutenue, ponctuée d’envois de livres et de cadeaux en tout genre de la part d’Helene (denrées alimentaires, bas nylon…). Frank Doel se présente dans un premier temps comme son unique interlocuteur, mais très vite l’ensemble du personnel de Marks & Co tombe sous le charme de cette Américaine attachante et prend part à cet échange affectif de fantaisie, de drôleries et d’érudition sans compter les services rendus en pleine période de récession (1949). Milton, Stevenson, John Donne sont quelques-uns des nombreux auteurs qu’Helene, en quelques mots, loue ou blâme en toute liberté, passionnément.

« Je leur écris les lettres les plus extravagantes parce que je suis bien en sécurité à 5 000 kilomètres de là. Si ça se trouve, un jour j’entrerai dans le magasin et j’en ressortirai sans leur dire qui je suis », avoue Helene à l’une de ses amies.
A l’heure du bla-bla numérique, du « B to C » et des mailing lists, 84, Charing Cross Road et les quelque vingt années de correspondance et d’amour de la littérature redonnent confiance aux bibliophiles épris du papier fané et des couvertures fatiguées. L’intrigue est certes limitée et cette chaste, mais émouvante, correspondance entre Helene Hanff et Franck Doel fait quelque peu pâle figure au regard des sulfureux romans épistolaires bien connus de nos bibliothèques. Quant à l’action, n’y comptez pas… Mais le plaisir est ailleurs. Tout d’abord dans la personnalité exubérante et authentique, caustique même, d’Helene (« On m’a offert un livre que j’ai tout simplement mis à la poubelle : c’était une évocation par un quelconque plouc de la vie au temps d’Oliver Cromwell – seulement le plouc il n’a pas vécu au temps d’Oliver Cromwell, alors comment diable peut-il savoir comment c’était ? »), mais aussi dans la sympathie qu’elle suscite très vite aux yeux du lecteur.

C’est en fin de compte cette amitié amoureuse et chaleureuse dépourvue de complexité entre la fantasque Helene Hanff et le très britannique Franck Doel que nous apprécierons. Il n’y a ici de passion que pour le livre.
Le trait autobiographique de 84, Charing Cross Road, traduit pour la première fois en français, n’est pas sans ajouter de l’intérêt à cette histoire. En effet, le destin d’Helene Hanff prend un autre chemin le jour où elle décide se replonger dans sa correspondance avec la librairie Marks & Co afin d’écrire une nouvelle pour une revue. Devant la densité de la correspondance, elle décide de confier ces lettres à un ami en vue de les compiler. Ce dernier décidera de les présenter telles quelles à un éditeur, malgré la réticence d’Helene. Bingo… En 1975, le livre est adapté pour un téléfilm par la BBC. Puis dans les années 80, le théâtre et le grand écran (film de David Jones avec Anne Bancroft et Anthony Hopkins) s’emparent de l’histoire. Une curiosité à découvrir, un livre généreux tout simplement…