Voilà donc, pour clôturer la trilogie à succès d’Haruki Murakami, 1Q84 livre 3, suite et fin des aventures de Tengo et Aomame dans leur étrange monde parallèle aux deux lunes où règnent les Little people. Premier constat : la trilogie aurait gagné à être publiée en une fois (ce qui a été le cas en Angleterre ou aux Etats-Unis). Sans parler de l’effet d’attente factice entraîné par le délai de six mois depuis la parution des Livres 1 et 2, le roman dans son ensemble est avant tout fascinant par l’ambiance que pose Murakami. Reprendre le dernier volume hors contexte casse le rythme, qui peine à se remettre en place. Moins allusif, moins répétitif, moins arbitrairement poétique que les deux tomes précédents, 1Q84 livre 3 est par ailleurs la pièce maîtresse de l’ensemble. Si on passe outre un dénouement convenu, l’ajout aux voix de Tengo et Aomame qui poursuivent leur quête, de celle d’un troisième larron, le détective Ushikawa, dit le Nain, donne au récit une ampleur nouvelle, indispensable, qui, si elle ne suffit pas à rééquilibrer l’ensemble, permet de le conclure sur une note satisfaisante.

Si 1Q84 signe bien un retour d’Haruki Murakami romancier (on n’avait plus lu récemment que des nouvelles ou l’excellent livre-mémoire Autobiographie de l’auteur en coureur de fond), force est de constater que la forme très longue adoptée pour ce texte n’ajoute rien à ce que l’auteur a pour habitude de produire. Ses thématiques sont en place, sa manière de créer une atmosphère légèrement décalée, son fantastique onirique, sa réflexion sur le Bien, le Mal, l’autoritarisme, les déviances sectaires… Rien ne manque. Mais tout est ici très détaillé, accentué, presque pédagogique. Il manque la fluidité des Amants du Spoutnik, de Passage de la nuit ou Kafka sur le rivage, qui fait leur charme envahissant. 1Q84 est une somme, un travail sous forme de feuilleton, intéressant à plus d’un titre notamment dans la manière narrative, mais qui s’avère plus anecdotique que d’autres textes de l’auteur, capables d’aller immédiatement à l’essentiel. A force d’explicite, une grande part de la subtilité habituelle des transitions se perd, le merveilleux paraît imposé pour ensuite être quasiment oublié : mieux vaut ne pas attendre trop de réponses sur le monde des Little people, on courrait à la déception.

Evidemment, l’essentiel n’est pas là. Le coeur du récit, la quête d’un amour vrai, le rapport au passé, l’abîme des solitudes, la désespérance légère sont présents de bout en bout. Au fur et à mesure qu’on avance, la dimension quasi incantatoire des répétitions narratives des Livres 1 et 2 s’apaise. On arrive au bout, le processus d’immersion a bien eu lieu, le réenchantement du monde façon Murakami est là. Mais si la découverte d’1Q84 pousse à lire ou relire Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil ou La Ballade de l’impossible, c’est un Murakami plus immédiat, et tout aussi remarquable qu’on y trouvera.