On connaît surtout Guadalupe Nettel dans un registre proche du fantastique, avec son obsession pour les corps, souvent abîmés. Avec ce nouveau roman aux forts relents autobiographiques, elle fournit des clés pour mieux comprendre son obsession pour la singularité, la différence, cette manière qu’elle a de revendiquer une forme de liberté dans le hors-normes.

Le récit démarre dans une famille mexicaine de la classe moyenne. On s’y rêve libéral et progressiste, mais les traditions pèsent. Ecole Montessori (les camarades s’appellent Lenin, Soviet Supremo, Clitoris…), vision sans tabou  de la sexualité, volonté affichée d’aller contre les préjugés : tout ça ne peut rien contre le réel. Une marque de naissance sur la cornée de l’œil droit qui la rend quasi aveugle, et voici notre héroïne embarquée pour une tournée des médecins, New York, Los Angeles, Boston, Barcelone, Bogota. Rien à faire avant l’âge adulte ? Elle est condamnée au port d’un cache. Le monde se fait moins hospitalier, d’autant que la volonté familiale (maternelle surtout) de corriger les erreurs de la nature ne s’arrête pas là. Par exemple, Cafard est le « petit nom affectueux » dont la mère gratifie sa fille pour sanctionner un vague problème de posture…

Le corps où je suis née est essentiellement centré autour de ce problème, classique s’il en est, de la relation mère-fille, qui va s’aggravant quand les parents se séparent, victimes de leurs pratiques systématisées de « couple libéré ». La narratrice se réfugie dans la lecture, l’écriture, le foot avec les gamins du quartier. Puis, quand sa mère part étudier en France, elle tombe sous l’autorité arbitraire d’une grand-mère réac. Son père est en prison pour une histoire de détournement de fonds. Elle se retrouve ensuite à grandir dans une cité lugubre d’Aix-en-Provence, et expérimente les colonies de vacances à la française. Retour au Mexique direction le lycée français : débuts d’émancipation, marijuana, sorties, jusqu’au retour en fanfare d’une mère finalement tout à fait autoritaire… Le « roman » se termine sur l’épisode de l’opération de l’œil droit, malgré le refus obstiné de la narratrice : « Mon allure de Quasimodo me plaisait et la conserver était ma manière à moi de m’opposer à l’establishment ».

Rien d’étrange ni de fantastique dans ce roman, qui affiche toutes les apparences de l’autobiographie : souvenirs réordonnés, évènements marquants soulignés, déroulement logique. La conclusion est sans surprise : « Le corps dans lequel nous naissons n’est pas celui dans lequel nous quittons ce monde ». Mais la démarche se veut honnête : vraie ou fausse confession, la narratrice admet : « Ce sont là mes souvenirs d’enfance et d’adolescence, mélangés sans aucun doute en un écheveau complexe avec une infinité d’interprétations dont je ne suis pas même consciente. Parfois, j’en viens même à douter de toute cette histoire, comme si, plutôt que d’une véritable expérience, il s’agissait d’un récit que je me serais répété à moi-même à l’infini ». Sans surprise, vraiment. Reste un texte agréable, parfois assez drôle. Mais trop personnel pour impliquer un lecteur. Dommage, pour un roman.

Traduit de l’espagnol par Delphine Valentin.