L’Apprenti sorcier, titre d’une des interventions de Georges Bataille au Collège de Sociologie, parait aujourd’hui comme un ensemble de textes, lettres et documents pour la plupart encore inédits en France, liés à la période militante de l’auteur, de 1932 à 1939. Si, pour les connaisseurs de Bataille, ce recueil constitue un complément indispensable aux œuvres majeures, il représente pour les profanes l’occasion de se pencher sur un Bataille à trois dimensions, dont le portrait prend consistance et épaisseur grâce à cette nouvelle brèche ouverte sur son engagement politique et sa réflexion théorique.
L’Apprenti sorcier est d’abord un accès aux différents groupes auxquels Bataille a adhéré : le Cercle Communiste Démocratique de Boris Souvarine, avec la parution dans la revue La Critique sociale de La Notion de dépense et de La Structure psychologique du fascisme ; le groupe Contre-Attaque, fondé par Bataille, cette fois aux côtés d’André Breton, pour répondre à l’urgence d’une situation politique rendue dramatique par la montée du fascisme et l’affirmation des régimes totalitaires en Europe ; et pour finir, Acéphale, qui représente avec le Collège de Sociologie, l’abandon apparent de toute activité politique, dans le sens traditionnel du terme, mais qui se propose également comme acte subversif et contestataire par excellence, puisqu’il ne se soumet pas à un projet politique particulier, forcement déterminé par des objectifs limités : Acéphale est avant tout une communauté d’existence, une « communauté de cœur » ayant l’ambition de s’ouvrir à la totalité de l’être.

L’Apprenti sorcier est donc surtout le reflet d’une opération thaumaturgique, visant à recréer « un sacré virulent et dévastateur » dans une société de plus en plus avide d’enivrement et de mythes. Il faut combattre l’avancée du mouvement fasciste avec les mêmes méthodes adoptées par ce dernier, il faut agir sur le plan mythologique, afin de récupérer à l’intérieur de la sphère politique l’exclu, le non-dit, voire la dimension de l’affectif et de l’irrationnel. L’action politique doit se nourrir de l’énergie jaillissant de la foule agitée par l’enthousiasme et la rage, pas dans le but de la soumettre à la volonté d’un chef autoritaire, comme dans le cas du fascisme, mais au contraire pour donner lieu à une société acéphale, surgissant de l’acte criminel suprême, la mise à mort du roi.

Si le souci de Bataille par rapport à Acéphale se limite initialement à cette représentation de la foule sans chef, il est marqué successivement par la volonté de soustraire la pensée de Nietzsche à la manipulation nazie. Nietzschéenne et orphique, voilà comment se définit la société secrète qui naît afin de « réunir tous les éléments constitutifs d’un mythe » ; un mythe conçu comme acte créateur originaire, événement producteur de sens indissociable de l’accord d’une communauté morale capable, à travers la pratique rituelle, de rendre le mythe à sa vérité vivante.

Une tentative destinée à l’échec parce que, remarque Alexandre Kojève, « on ne régresse pas du savoir à la foi » et l’émerveillement échappe irrémédiablement à celui qui essaie sciemment de se l’approprier par la voie du savoir et du choix rationnel. Toutefois, même dans l’échec, on retrouve la fécondité d’une pensée capable de « réaliser dans l’incohérence un équilibre imprévu », en gardant le sentiment que l’expression « changer l’existence » puisse être autre chose qu’une formule creuse.