Voici venir le fiancé : à la veille de ses 70 ans, Matzneff aurait-il décidé de poser ses valises, de se démettre de ses péchés, de s’assagir et de devenir comme tout le monde ? Que nenni ! L’écrivain n’a que faire de la sobriété d’une vie maritale et le titre de son nouveau roman fait tout simplement allusion aux chants de la semaine sainte orthodoxe. S’il a voulu jouer sur son ambiguïté, cela, nous ne le saurons jamais… En déroulant les histoires croisées de Raoul, Nil, Alphonse, Lioubov, Nathalie, Delphine et Constance, Matzneff nous convie comme dans ses livres précédents à une réflexion sur la foi, sur les femmes et sur l’amour ; une sorte de bilan des années qui se sont écoulées, avec un personnage, Nil, qui décide de mettre en boîte toutes ses amours (sa « vie », comme il le dit lui-même) en classant pieusement toutes les lettres et photos des femmes (ou plutôt jeunes filles) qu’il a pu aimer. Un moyen, selon lui, d’échapper à l’érosion du temps, de graver son existence dans les mémoires de tous et de toutes, car ces quelques reliques seront confiées à la Bibliothèque de la Mémoire.

On ne peut s’empêcher, en lisant ce roman contre l’oubli, de penser à l’angoisse du temps qui passe qui est celle de Matzneff, angoisse de la vieillesse et de ses ravages sur un pouvoir de séduction qui s’étiole année après année et le confronte cruellement, à la mort. Matzneff a souvent abordé le thème de la mort et du suicide dans ses romans mais, dans celui-ci, il en fait une obsession. Le roman « voyage » néanmoins de bout en bout entre les conversations animées de ses divers protagonistes, se déplaçant allègrement entre Venise, Naples, Rome, Paris, la Suisse. On y parle des nouveaux modes de communication, de la langue française qui dépérit, des compromis auxquels on se livre en amour lorsqu’on a perdu l’âge d’Apollon ; on égrène ses aventures, ses amours et, surtout, les ruptures mortelles qui effacent d’un trait tout un pan de vie, ne laissant que les miettes d’un temps qu’on croyait magique et éternel. On aurait aimé que le ton du livre, au terme de toutes ces années, soit plus joyeux, mais la tristesse « permane » (un néologisme de l’auteur). Qu’importe… Aurait-il été possible de penser différemment au seuil de la vieillesse ? Elle n’a, quoiqu’on en dise, jamais été, source de bonheur…

L’écriture de Gabriel Matzneff, elle, demeure toujours aussi claire, limpide,  » classique « . On se surprend, d’ailleurs, parfois, à recueillir ici et là la définition d’un mot désuet dans le dictionnaire. L’écrivain ne cède pas aux facilités de notre époque au lexique en peau de chagrin, s’amusant, dans certains passages, à réfléchir sur la langue française et ses origines, les similitudes entre le français et l’italien, les mots nouveaux, et pestant contre la manie de nos contemporains de ponctuer leur flot verbal mou et désagréable de « ouais, ouais, ouais ». Sa critique de la société est toujours aussi vive et énergique, mais on sent parfois chez lui une sorte de rage à vouloir vomir tout ce que l’on ne peut plus dire, à force de baillons et de brimades infligés par un establishment de gens dangereusement tyranniques.