On a 22 ans, on cite Shakespeare (« Que devient la blancheur quand la neige a fondu ? » : on en tire même un titre mystérieux et littéralement insignifiant, juste comme il faut), on torche les 160 pages réglementaires en espérant qu’elles suffiront (comme on n’est pas tout à fait sûr de soi, on les tronçonne généreusement en « parties » puis en « chapitres », une page blanche à chaque fois ; on insère même des sous-parties numérotées au sein des paragraphes survivants, trois lignes de gagnées) : on peut partir à l’assaut des librairies, d’une presse plus ou moins culturelle que l’on sait sensible aux mises élaborées et aux jeunes comètes en carton recylé (on adore se faire photographier -ne parlons même pas de la télévision) et, triomphalement, on se hisse un moment sur le petit trône crasseux d’où les touristes modernes contemplent, en croyant naïvement en être eux-mêmes, les ruines lucratives et dégradées de ce qu’on appelait encore, à l’époque, la littérature. On n’est d’ailleurs pas tendre pour ce qui en reste : non content d’y aller de son William, l’ambitieux petit Zeller se fend d’un Hérodote, d’un Rimbaud (ça nous aurait étonné), d’un Nietzsche (il l’a lu, ne serait-ce qu’en terminale), d’un Michaux ; enfant de son époque, il convoque aussi Souchon, dont il a probablement beaucoup aimé la « Foule sentimentale » et dont il aime à croire qu’il partage la mélancolie douce-amère et le décalage embarrassé, en un peu plus hard peut-être. Des références solides, donc, pour un texte dont elles sont d’ailleurs l’unique intérêt : le remarquable Zeller s’est si résolument lancé à la poursuite des véritables idoles de son Panthéon littéraire intime (on imagine bien que Nietzsche et Michaux n’y sont présents qu’à titre décoratif) qu’il a réussi, involontairement peut-être, à les doubler sur leur propre circuit. On verra donc, dans le rétroviseur de ce petit roman (on veut écrire des romans, à tout prix, quand bien même on a à peine de quoi trousser une demi-nouvelle mal fichue), les vedettes de la romance post-adolescente et du malaise parisien ; Florian Zeller nous y parlera d’amour aussi bien qu’eux, nous emmènera dans des soirées décrites comme Nicolas Rey aurait sans doute aimé le faire, écrira aussi mal que Claire Legendre, et laissera venir à lui cette poésie jeune et grotesque dont Yann Moix a fait son fonds de commerce (« La beauté n’est pas ce vers quoi l’on va. A mesure que le temps passe, la beauté s’use et se perd dans des espaces d’indifférence. La beauté est ce que l’on quitte, aveuglément. »).

Dans Neiges artificielles, on loupe le dernier métro, on prend des taxis, on pense à la mort, on fréquente « le quartier de Saint-Germain », on égare son téléphone portable, on le retrouve, on caresse la poitrine d’une petite marchande chinoise, on regrette de « ne pas avoir mis son pantalon en lin » lorsqu’il fait « particulièrement lourd », on rentre à pied de République à Bastille, on pense à la vie (« Je n’avais pas de difficultés à réussir, je n’avais donc rien à perdre, à l’exception de mon temps et de mon désir de vivre »), on baise Marie en aimant Lou. On aime les mots crus, puisqu’on en a lu chez Beigbeder : « Elle a pris ma bite dans sa main et a commencé à me sucer. Parfois, elle se retirait un peu en continuant à me branler, et elle me léchait le ventre en me regardant avec provocation. » On ose se mettre en scène en inventant un personnage nommé Florian, 21 ans « et des poussières. Surtout des poussières », tignasse ondoyante et « une volonté féroce d’écrire des livres. » En tirant un peu à la ligne, Zeller a finalement bouclé un petit livre stylistiquement inexistant, à la fois impeccablement vide et, en même temps, plein de tous les poncifs imbéciles qu’a fait naître la dernière génération du roman français -probablement la pire. Vide de littérature ou plein des figures imposées de ce qui se vend sous ce nom aujourd’hui, c’est du pareil au même.