Cinéaste d’avant-garde (on lui doit notamment Docteur Chance ou Le Trésor des îles Chiennes), fondateur des groupes MKB Fraction Provisoire et Messagero Killer Boy et auteur de Génération Néant, F.J. Ossang est surtout, et fondamentalement, un poète. Un poète de la génération punk, de l’ère de l’image et des sons saturés, qui emploie des riffs et des plans pour créer des vers en relief. Mais aussi un poète de vocation, dans l’héritage direct Rimbaud/Lautréamont/Breton, et dont la poésie, comme en témoigne Venezia Central, est moins un champ parallèle que la piste nue de tout son travail artistique. Aussi, si l’on entend des échos de sa musique dans ces textes, comme les paroles de « Mes amis sont morts » qui viennent clore L’Ode à Pronto Rushtonsky, il arrive souvent aussi qu’on se retrouve comme à l’intérieur d’un film de F.J. Ossang, parce qu’y règne la même ambiance étrange, parce qu’on y surprend cette verve si particulière entre la narration d’un polar et la brutale épiphanie, parce qu’on y est attaqués par ces sortes de slogans destinés à ponctuer la trame : « NON-ÊTRE QUI ERRE DANS LE NON-ESPACE NON-TEMPS, DERRIÈRE TES IMAGES ET TES MOTS, IL N’Y A PERSONNE ! »

Rassemblant des textes écrits sur une vingtaine d’années, le recueil s’organise selon une logique exemplaire. On y entre avec de grands voyages symboliques à travers des villes mythiques et sous l’égide de poètes-intercesseurs : ainsi Venise, dans Venezia Central, sous l’égide d’Ezra Pound et dans un style qui rappelle parfois le grand poète américain. A l’instar de ce qui se déroulait dans le long flux des Cantos, toutes les époques se combinent dans la ville enlisée qui se fait la métaphore du crépuscule de l’Europe. Après Venise et le temps, Lisbonne, elle, est dévouée à l’espace, grâce au poète Fernando Pessoa, dont le rêve sébastianiste est une manière d’accéder concrètement à l’universel : « Tel est le plan de guerre que Pessoa réussit à exécuter / point par point, revisitant le songe sébastianique / jusqu’à le rendre parfaitement immédiat ». Une fois établies cette abscisse et cette ordonnée prolongées à l’infini, la poésie d’Ossang se déploie, comme l’esprit, dans toutes les directions. Nice, Madrid (toujours traversées par les ombres fugitives des poètes) et jusqu’à la « Transylvanie française », la neige, la perte des autres ou de soi et puis, pour finir : « Ténèbres sur les planètes ».

Un voyage permanent à travers toutes les sphères possibles, c’est ce qu’Ossang effectue grâce à une poésie semblable à l’agent mercuriel des alchimistes ; une poésie mystique, aux allures de gnose (au passage, des choses essentielles et pertinentes sont exprimées au sujet des poètes majeurs qui y circulent), mais également lyrique, très loin des sécheresses de certains poèmes contemporains. Une synthèse efficace entre un certain décadentisme, un certain symbolisme, un certain surréalisme et post-surréalisme, un certain esprit punk. Sauf que le « no future » d’Ossang, loin d’être un simple constat d’absence d’horizon social, signifie « Apocalypse », et donc déclin, crépuscule, mort, mais aussi : révélations. Ce pourquoi le poète résume sa posture de la sorte : « Je reviens dans l’œil de l’aigle visiter la déchéance. Mur du son ». À franchir.