Où l’on revient au pays basque qu’affectionne Eugène Green, lequel en avait fait le décor, ou le sujet, de La Bataille de Roncevaux, en 2009. Ce nouveau livre est une sorte de polar métaphysique, mélange d’enquête, de fantastique et de philosophie, avec des racines dans l’histoire lointaine de la région. Le narrateur, neurologue converti dans les livres anciens, est appelé au chevet d’un adolescent qui souffre de terribles accès de démence. On croirait qu’il est possédé : pendant ses crises, il tient des discours en basque ancien ; plus surprenant encore, on entend d’autres voix dans la pièce. A ce stade, on est moins dans le dérèglement psychiatrique que dans le phénomène paranormal. Bientôt, on s’avise que ces voix reproduisent l’interrogatoire d’un procès en sorcellerie médiéval, comme si les superstitions anciennes remontaient par capillarité vers le présent, à la façon d’une eau enfouie. L’oncle du gosse, rationaliste bon teint, n’y croit pas une seconde, et s’interroge sur l’opportunité d’une lobotomie…

Drôle de roman que cette Inconstance des démons, qui semble chercher son genre, ou badiner entre les genres, passant d’un extrême à l’autre, de la mélancolie simenonienne du narrateur au grand-guignol de la folie sataniste. Ce n’est pas déplaisant, d’autant qu’on retrouve la plume classique de Green avec ses imparfaits du subjonctif distingués et ses anglicismes à la Marcel Aymé (le « foutebôl »). En arrière-plan, l’auteur lance des flèches contre l’hégémonie de la Raison qui se croit infaillible et qui veut tout plier à sa mesure, en niant l’irrationnel de la vie humaine. « On ne peut pas supprimer la Raison, qui est le défaut de fabrication de l’homme, et qui est quelque chose de très différent de l’intelligence. Mais il y a une lumière qui ne dépend pas de notre volonté, qui vient ou qui ne vient pas, et contre laquelle la Raison ne peut rien ».