Nous sommes dans un futur proche et le professeur Vivien, éminent scientifique, est envoyé en mission sur la Lune. Sur celle-ci, des télescopes géants permettent d’observer la Terre avec une précision jamais égalée. Quelques-uns résident à demeure : la Lune est devenue une nouvelle colonie d’exil et les cartons diplomatiques et politiques fourmillent de divers projets. Des délégations scientifiques internationales se succèdent pour perfectionner cette technologie qui ouvre la perspective d’un contrôle généralisé de l’humanité. La rotation régulière du personnel est indispensable du fait de certaines psychologies fragiles qui ne supportent pas le mal de Terre. Tout est fait enfin pour les délices du confort, de la paix, de la sérénité et de la sécurité. Le totalitarisme n’est plus qu’un mauvais souvenir ; il appartient à la mémoire archaïque de l’humanité. Plus de complot, plus de super-Etat. C’en est fini des cauchemars et des chimères qui n’enragent encore que certains esprits fiévreux. Le règne de la Liberté grâce à la super-technologie. Sur la Lune, tout est parfaitement artificiel donc naturellement parfait. L’Homme, fils de l’homme, n’a plus rien à cacher, plus rien à dissimuler. Le paradis de la Transparence, de l’Evidence, de l’Irréfutable : nous sommes nés bons, et destinés par conséquent pour le bonheur. Ne vous tracassez pas. La musique des sphères est une mélodie divine, et nous y sommes.
Le monde va donc son train. Rien n’est profondément modifié, mais tout est parachevé, tendant encore vers sa perfection ultime. Comme c’est beau…

Eric Faye est un très grand romancier. Aucune trace de nostalgie, aucune trace d’aigreur. Un pur instant de grâce, avec une écriture extraordinairement juste, sans rien de chiqué, ni rien de fabriqué. Un roman vrai, avec des personnages réels, dont on ne peut absolument rien dire, qui ne jouent aucun rôle, qui ne défendent aucun point de vue idéologique, que l’on n’attend ni ne prévoit jamais, qui se contentent tout simplement d’être par le génie d’un romancier qui excelle dans l’art de polir les miroirs. Cette Croisière en mer des pluies se borne humblement à faire rugir le silence. Et c’est tout.
Un reproche, cependant. Et peut-être justifié du fait d’une contrainte que l’auteur ne s’est pas forcément imposée : ce roman ne dure que 230 pages et méritait largement plus.