Et voici le roman BSGP de la rentrée (BSGP = « Bobos à Saint-Germain-des-Prés »), l’équivalent de Moment d’un couple de Nelly Allard en 2013 : une romance chez les bourgeois friqués, des personnalités réelles cachées derrière les personnages, avec ici un ingrédient supplémentaire, le souvenir familial de la Déportation. Voici donc la narratrice, qui est, ou pas, Emilie Frèche. Elle écrit, elle tourne des films, elle est à l’aise, elle habite un bel appartement à Paris et elle a changé tout son électroménager lors du dernier déménagement. Son mari est cardiologue, plus âgé, ils ne se touchent plus mais ils s’aiment. Pour les galipettes, elle a Benjamin, son amant qu’elle voit chaque semaine. Mais voilà : elle rencontre Benoît Parent, écrivain persifleur et talentueux, et tombe amoureuse. Il est odieux, vantard, manipulateur, mais c’est plus fort qu’elle : elle guette ses textos, elle accourt à ses rendez-vous, bref, elle se dégoûte. Elle va jusqu’à endurer ses provocations antisémites, elle qui, auteur d’un livre sur l’affaire Halimi et d’une fameuse protestation anti-Nabe chez Frédéric Taddéi, est réputée pour sa vigilance !

On se demande ce qui lui prend de se fourrer dans les pattes d’un type pareil. Elle-même n’y comprend rien. Sa franchise, de ce point de vue, est désarmante : elle se dépeint sous les traits d’une cruche si fabuleusement naïve qu’on peine à y croire. Mais Benoît Parent est un « cancer », dit-elle, on ne s’en débarrasse pas facilement. Alors, elle a une idée : pour s’empêcher de le revoir dans la vie, elle écrit une fiction, où elle ira au bout de leur histoire. D’où roman dans le roman, etc. Tout ceci n’est pas maladroit, mais les clichés abondent, ainsi que les signes de reconnaissance du bobo littéraire (les verres au bar du Lutétia, les weekends à Venise, etc., le plus naturellement du monde). Comme il a déjà lu cette histoire cent fois, le lecteur détourne son attention vers les personnages, en cherchant à deviner les modèles. (Benoît Parent : « éditorialiste dans un grand journal respecté, juré de prestigieux prix littéraires, auteur de romans couronnés », gaspilleur de son talent, des liens avec Nice, etc. Vous trouverez facilement) C’est divertissant pendant trois chapitres, après quoi on s’impatiente. Le parallèle final entre l’histoire de la narratrice, dans le Paris confortable de 2015, et le sort tragique de sa grand-mère, dans la France occupée, a quelque chose d’un peu surprenant, et peut-être de gênant. Ceux qui auront eu le courage d’aller au bout jugeront.