« Adolf Hitler, fils de l’Eglise catholique, est mort en défendant la chrétienté. (…) Avec la palme du martyre, Dieu remet à Hitler les lauriers de la victoire. » Ces phrases de Franco furent publiées sur son ordre dans certains journaux espagnols le 3 mai 1945. Isolées de l’Histoire, elles passeront pour le symptôme de l’esprit malade du dictateur. Que dire alors de la déclaration du pape Pie XI : « Mussolini est un homme formidable » ou de celle de Franz von Papen, camérier du pape : « Le nazisme est une réaction chrétienne contre l’esprit de 1789 » ?
La réédition, longtemps attendue, du livre d’Edmond Paris, Le Vatican contre l’Europe, permet enfin de mesurer dans toute son ampleur le rôle joué par l’Eglise catholique au long du XXe siècle. A l’opposé du principe de non-ingérence qu’il a régulièrement mis en avant, le Vatican fut l’un des acteurs actifs de la plupart des événements politiques, militaires et économiques du siècle passé. Grâce à un nombre impressionnant de documents -témoignages, articles, livres, études, etc.-, le livre d’Edmond Paris relate les choix et les actions politiques de cette Eglise qui fut toujours « du côté du bourreau ».

Tout commence à la veille de la guerre de 14, quand le Vatican (brouillé avec la France depuis la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat) soutient l’Autriche-Hongrie, qu’elle considère comme le rempart catholique protégeant l’Europe de la Serbie et des autres pays orthodoxes de l’Est. Le 26 juillet 1914, le baron Ritter, chargé d’affaires de Bavière près le Saint-Siège, écrit à son gouvernement : « Le pape approuve que l’Autriche procède sévèrement contre la Serbie. Il n’a pas une grande estime des armées de la Russie et de la France en cas de guerre contre l’Allemagne. » Qualifié de « pape boche » par les Français, Benoît XV sera, durant le conflit, si peu neutre que l’Italie obtiendra facilement que le Vatican soit exclu de la conférence de la paix à Versailles en 1919. Suivent alors, durant l’entre-deux-guerres, ce que l’auteur nomme « les préparatifs de la revanche » : sous la direction de Pie XI, qui succède à Benoît XV, le Vatican mène une politique de soutien constant aux différents régimes dictatoriaux qui naissent en Europe (Mussolini en Italie, Hitler en Allemagne, Franco en Espagne).

Mars 1938 : l’Autriche est envahie. Le cardinal Innitzer et l’épiscopat autrichien déclarent : « Les prêtres et les fidèles suivront sans réserve l’Etat grand allemand et son Führer… » Même attitude, peu avant l’invasion de la Tchécoslovaquie, dans la Slovaquie « indépendante » que proclame Mgr Tiso, lequel affirme : « Le catholicisme et le nazisme ont beaucoup de points communs et ils œuvrent main dans la main pour réformer le monde. » Les premières déportations de juifs et de protestants auront lieu sous ses ordres.

Pie XII (qui fut nonce apostolique en Allemagne pendant 13 ans) succède à Pie XI. Continuité… Silence sur la Pologne envahie, soutien du gouvernement Pétain. L’Europe est en guerre. En Allemagne, en Serbie, sur le front russe, entre autres… nombreux furent les lieux où frappent le silence ou la complicité du Vatican dans les crimes de guerre et dans les crimes contre l’humanité. Quelques cas : Ante Pavelitch, chef des oustachis de l’Etat fasciste croate, responsable de plusieurs dizaines de milliers de déportations, tortures et meurtres commis sur les juifs et les orthodoxes, fut non seulement cordialement accueilli par Pie XII mais reçut chaque année, jusqu’en 1944, la bénédiction papale. En Allemagne, outre Himmler (son père était directeur de l’école catholique de Munich, son oncle était jésuite, son frère bénédictin), Goebbels fut élève des jésuites et Hitler déclare : « J’ai surtout appris de l’Ordre des jésuites. Jusqu’à présent, il n’y a rien eu de plus grandiose sur la terre que l’organisation hiérarchique de l’Eglise catholique… » Rappelons enfin cet extrait du « message de Noël 1942 » du pape, évoquant l’invasion de la Russie (orthodoxe) par les armées nazies : « L’heure n’est pas aux lamentations mais aux actes… Saisis de l’enthousiasme des Croisades, que les meilleurs de la chrétienté s’unissent… au cri de : Dieu le veut ! prêts à servir et à se sacrifier comme les croisés d’autrefois. (…) volontaires qui participez à cette Sainte Croisade des temps nouveaux, levez l’étendard… déclarez la guerre aux ténèbres d’un monde séparé de Dieu. »
L’après-guerre… Si grâce à quelques procès récents, le rôle du Vatican dans la protection de criminels nazis et de collaborateurs est mieux connu, on découvrira avec stupeur les différents appels à la clémence et demandes de grâces écrites par le Vatican lors du procès de Nuremberg. Les derniers chapitres du livre éclairent également d’un jour nouveau les capacités économiques et médiatiques du Vatican.

L’analyse d’Edmond Paris s’arrête au seuil des années 60. Qu’en est-il désormais ? Le Vatican a présenté des excuses pour certaines de ses responsabilités passées. En même temps, de nombreux faits (missels antisémites, églises occupées par des intégristes, actions douteuses dans les pays du Tiers-Monde, etc.) témoignent de l’influence toujours importante de ceux qui, au sein de l’Eglise catholique, ne respectent ni les lois démocratiques ni les croyances différentes. On ne peut donc, malgré l’affliction et l’horreur éprouvées à la lecture de nombreux passages de ce livre, que le conseiller à tous ceux qui souhaitent posséder les informations nécessaires pour se prémunir contre les excès encore possibles d’un pouvoir aux objectifs toujours obscurs.