C’est une rencontre au fond d’un bar de campus qui lie le Marauder à Owen Noone. Marauder raconte. On ignore le nom de cet étudiant en littérature anglaise, fils de parents fiers de sa réussite, Dj sur une radio universitaire dans des émissions qui passent des groupes ultra confidentiels. Du début à la fin du roman il restera un personnage timide, qu’on cerne difficilement et qu’on oublierait presque s’il n’était pas celui qui témoigne. Owen Noone, lui, est bien différent ; joueur de baseball plutôt doué, fils de famille aisée, il avance sans se poser de questions, porté par un charisme auquel on résiste difficilement. Le soir de leur rencontre, il interprète bizarrement une chanson des Guns’n’Roses, performance remarquable et remarquée, questionne Marauder pendant des heures et lui propose, le lendemain, d’aller acheter deux Fender Telecaster pour fonder un groupe de rock. Curieux pari, d’autant qu’aucun des deux n’a jamais joué de musique. A la bibliothèque, Marauder vole un vieux recueil de chansons folk (celui d’Alan Lomax) ; c’est là-dedans qu’ils apprennent, un par un, les accords nécessaires aux chansons les plus simples. Puis aux autres. Jusqu’à ce que Owen Noone & Marauder soit prêt à se produire sur scène et à partir sur les routes en quête de notoriété, laissant derrière eux tout ce qu’ils ont pu connaître jusque là.

L’essentiel du roman est là : un recueil de vieilles chansons, une voix surnaturelle qui monte, se brise, hurle puis souffle, deux guitares électrique et une voiture pour faire le tour du pays. « Owen Noone & Marauder », groupe de « pseudofolkrockpunk » fin de siècle, revisite le « road trip » à travers les Etats-Unis. Car il ne suffit pas de jouer, il faut aussi conquérir un public. Les choses vont très vite, le bouche à oreille aidant : les salles sont bientôt pleines pour accueillir ce duo qui revisite des classiques oubliés avec une absolue naïveté et une voix pas toujours juste. Des radios locales aux bars branchés new-yorkais, Owen et son complice finissent par être repéré par un label et doivent affronter le monde mystérieux et hostile de l’industrie de la musique. A l’heure d’enregistrer, la réalité rattrape les deux amis : s’il est facile de devenir célèbre, il est autrement plus difficile de vivre la célébrité au jour le jour. La machine s’emballe quand Owen découvre que son père, qui l’a abandonné à l’adolescence, se présente aux élections sénatoriales californiennes avec un programme ultra conservateur qui prône les vertus de la famille. Il décide alors d’utiliser sa célébrité pour faire échouer sa candidature. Les journaux arbitrent le combat père-fils à coup d’interviews, de reportages vérité.

Avec ce portrait atypique de deux ovnis des 90’s, Douglas Cowie signe un premier roman singulier. D’abord parce qu’il reprend à son compte tous les grands mythes américains, du road movie à la vie de campus en passant par l’industrie du spectacle et le business de la politique ; ensuite et surtout par ce qui se joue dans l’écriture même : sa narration linéaire et lisse lui permet de faire vivre l’histoire tout en la distanciant du lecteur ; ses personnages avancent sans qu’on parviennent à les aimer ni à les détester vraiment. Cette forme de neutralité que le texte impose ne nuit pourtant pas au récit. Au contraire : on imagine difficilement comment les choses pourraient être dites autrement. C’est sans doute la clef du texte, celle qui fait sa réussite.