Sous quelle étiquette faut-il ranger Douglas Coupland ? Pendant des années, on a regardé le romancier canadien comme un gourou visionnaire et un philosophe social, suite à son best-seller Génération X (1991), roman qui a popularisé cette expression inventée par des sociologues anglo-saxons pour désigner les jeunes nés entre 1960 et 1980, dans le creux entre la vague du baby boom et celle des geeks connectés. Les héros de ses romans incarnent l’état d’esprit de cette jeunesse désabusée, dépourvue de culture et d’idéaux, incapable de trouver sa place dans le monde. A chaque nouveau titre, presse et lecteurs ont cherché de nouveaux éléments de critique sociale, transformant Coupland en commentateur universel du devenir de l’Occident, son vide spirituel, sa technologie, son culte de la consommation et de l’apparence, sa futilité. Autant de thèmes qui se retrouvent dans sa production artistique, Coupland étant l’auteur d’œuvres et d’installations exposées partout dans le monde.

Dira-t-on toutefois que son nouveau roman, La Pire. Personne. Au monde. est un volet de cette entreprise critique ? Ou, plus simplement, que c’est une comédie bouffonne et provocante, où il tente de battre un record du monde de vulgarité ? Le roman raconte les aventures de Ray (nom complet : Raymond Gunt, patronyme propice aux calembours douteux puisque cunt désigne le sexe féminin), caméraman fauché qui accepte une mission fournie par son ex-femme : s’envoler pour deux mois vers les îles Kiribati et tourner une télé-réalité style Survivor. Au bout de trente pages, le scénario vire au n’importe quoi, avec une succession de dialogues absurdes et de catastrophes hallucinantes incluant une crise cardiaque en avion, un spectacle de danse en prison et la destruction d’un continent de déchets marins au moyen d’une bombe atomique.

Peu importe ce qui se passe : tout est à mourir de rire dans ce livre, en raison du bagout venimeux de Ray, héros misanthrope, raciste et obsédé dont le regard sur le monde est une vraie bouffée d’air vicié. Avec un mélange de bile et de flegme sarcastique, Ray insulte la terre entière, tout haut ou en pensée, le livre devenant un festival d’uppercuts et de gags, version méchante d’un roman de Tom Robbins. Côté narratif, Coupland, qui ne peut s’empêcher d’user de gadgets, insère dans le texte des encadrés façon « Le saviez-vous », inspirés par le biji, sous-genre de la littérature chinoise classique. (Le biji existe bel et bien, même si le rapport est mince). S’il faut chercher une intention satirique dans le texte, voilà une question difficile. Critique de la télé-réalité ? Dénonciation du désastre écologique ? Haro sur la bêtise contemporaine ? Peu importe ; l’essentiel est qu’on rit, même si, comme c’est prévisible, le jeu lasse au bout de 250 pages (à la fin, Coupland s’époumone). Le torrent d’horreurs scatologiques et/ou sexuelles qui coule à flots fait rêver de lectures d’extraits en public, pour le plaisir de voir rougir les bégueules et s’offusquer les vigies du political correctness (les blagues sur les lesbiennes, les Mexicains et le Tiers-monde sont à hurler). Dommage que Coupland ne se soit pas livré lui-même à un tel exercice lors de la cérémonie au cours de laquelle, le 27 avril 2015, le Consul de France à Vancouver l’a élevé au rang de Chevalier des arts et des lettres.