Eh oui, Edgar est un gogolito, un gosse avec une case en moins. C’est la terreur des bacs à sable et de nurses anglaises qui s’extasient avec terreur devant ses oreilles surdimensionnées. Seulement, ces esgourdes-là lui servent : c’est même ce qui le relie le plus pleinement au monde des « normaux ». Par le biais de ces radars ultra-puissants, il entend tout ce qui se dit -peu importe la distance- et même ce qui se pense. A commencer par sa « cible » principale : Isabelle, la maman rongée par l’infirmité de son enfant, Isabelle qui refuse de vivre une vraie vie, enfermée qu’elle est dans un sourd relent de culpabilité et de honte. C’est le point de départ de ce très étonnant -et captivant – petit livre, deuxième roman de Dominique Fabre après Moi aussi un jour j’irai loin (chez Nadeau) qui, il y a trois ans, n’avait pas eu l’effet qu’il aurait du avoir : celui d’une bombe à retardement, sur un sujet délicat, le chômage et la perte des repères sociaux. Le ton et le style étaient déjà présents, avec leurs particularités si subtiles ; c’était en fait une « voix blanche » qui s’exprimait, à la fois celle de l’auteur et du personnage principal. Une voix qui refusait les marques rouges des styles à la mode, des styles reconnaissables entre mille, du style tout court.

Du coup, évidemment, c’était un style difficile à oublier. Ma vie d’Edgar reprend les mêmes apparences trompeuses, avec ceci de nouveau, allez savoir si c’est le sujet lui-même ou la décrispation naturelle de l’écriture -on dit aussi le métier qui rentre- chez l’auteur qui dicte cette évolution, que le texte se prend parfois d’audaces -par la pensée seulement- qui paraissent incroyables, de petits dialogues -souvent des monologues d’Edgar- qui semblent totalement improbables, quasi surréalistes. Et mine de rien, on ressort quelque peu ébranlé de ce bouquin tout simple, avec la drôle d’impression qu’il vient de se passer un petit quelque chose : l’apparition d’un écrivain ? Ma foi…