Un mot, pour commencer, sur la collection où paraît ce petit livre au long titre : « Constellation » est la nouvelle série des éditions Hélium, qui jusqu’à présent ont officié, sous la houlette de Sophie Giraud (ex-pilote de la collection littéraire de Naïve), dans le secteur de la jeunesse. L’idée consiste à faire se rencontrer un écrivain et une œuvre : un film, un tableau, une photo, un morceau de musique, etc., à partir duquel sera écrit le récit. « D’une œuvre à l’autre, explique l’éditeur, d’un auteur à l’autre jusqu’au lecteur, une constellation se tisse dans un ciel ouvert ». Métaphore que file le graphisme des couvertures, avec son jeu sur la figure de l’étoile (occasion de souligner que ces livres sont esthétiquement fort réussis). La collection est inaugurée en cette rentrée d’hiver 2015 par trois auteurs : Arno Bertina, qui s’intéresse à Johnny Cash (J’ai appris à rire du démon), Alban Lefranc, sur Maurice Pialat (L’amour la gueule ouverte), et donc, plus inattendu, Didier da Silva (dont on a déjà pu lire chez l’Arbre vengeur un petit livre virtuose, L’ironie du sort), qui s’empare de… Un jour sans fin, le fameux film d’Harold Ramis avec Bill Murray et Andie McDowell, comédie romantique a priori sans prétention que son scénario génial et la prestation de son acteur principal ont, 22 ans après sa sortie, transformé en film-culte.

Le titre complet, Louange et épuisement d’Un jour sans fin, doit être pris pour argent comptant. Il s’agit, d’une part (« louange »), de dire du film tout le bien qu’il mérite, en mettant en avant ses qualités humoristiques, ses astuces de mise en scène, ses meilleurs moments et, bien sûr, sa dimension philosophique et politique (les vertiges du rapport au temps, la prison sociale, etc.) ; d’autre part (« épuisement »), de dire, façon Perec, tout ce qui peut être dit en condensant dans 90 pages le maximum d’anecdotes et d’informations, l’intrigue étant exposée de bout en bout, quasiment minute par minute. Grâce à force notes, on apprend tout sur l’impro lors du tournage, sur les scènes coupées, les ventes du réveil Panasonic que massacre quotidiennement le héros, l’immatriculation de la décapotable à bord de laquelle Bill prend la fuite, l’apparition de Brian Doyle-Murray (frère de Bill) dans le rôle du M. Loyal à la fête de la Marmotte, les retombées sur la ville de Punxsutawney où le film, bien qu’il s’y déroule officiellement, n’a en fait pas été tourné… Jusqu’aux coulisses du scénario qui, de l’aveu de l’un de ses coauteurs, le très oublié Danny Rubin (couvert de récompenses, puis disparu de la circulation), s’inspire des cinq étapes du deuil décrites par la psychiatre américaine Elisabeth Kübler-Ross : déni, colère, marchandage, dépression, acceptation. (Vérifiez, ça colle).

De là un drôle de petit livre, à mi-chemin entre l’hommage obsessionnel (l’érudition, le torrent de détails, le mélange de sérieux cinéphilique et de souvenirs d’adolescence), le challenge perecquien (tout dire sur un film, en l’espèce un film que tout le monde, ou presque, connaît par cœur), et, même, la tentative d’essai philosophique miniature. Didier da Silva écrit un texte en se contentant plus ou moins de raconter un film : est-ce une œuvre en soi, ou un appendice du film ? Il répète ce qu’on voit à l’écran, or le film est précisément fondé sur le thème de la répétition : mise en abyme, ou résolution ? Il colle au film, or Bill Murray est l’acteur détaché par excellence : paradoxe ? On voit que derrière leur potacherie apparente, ces pages sont riches, et qu’elles n’intéressent pas que les fans d’Un jour sans fin, ou de Murray (les uns comme les autres étant assez nombreux). C’est d’autant plus vrai que le style pince-sans-rire et soigné de Didier da Silva vaut qu’on le loue, lui aussi (Echenoz est salué au début, mais on pense plutôt, dans un registre pas si lointain, à la langue d’Eric Vuillard dans Tristesse de la terre). Bref, toutes les raisons sont bonnes d’ouvrir cet étonnant petit volume. « Debout les campeurs, et haut les cœurs ! N’oubliez pas vos bottes parce que ça caille aujourd’hui ! – Ca caille tous les jours par ici ! »