De David Thomas, on aime spécialement les micro-fictions (des nouvelles très courtes, une demi-page, cinq lignes, voire moins), genre qu’il est l’un des seuls en France à pratiquer, avec un sens de la chute et une cruauté froide qui font merveille (les titres de ses recueils, paradoxalement, sont longs : La Patience des buffles sous la pluie, Je n’ai pas fini de regarder le monde, On ne va pas se raconter d’histoires). Il revient aujourd’hui au roman, genre auquel il s’était essayé en 2011 dans Un silence de clairière, qui l’avait propulsé vers la célébrité grâce au prix Orange (prix d’internautes assorti d’un beau chèque et d’une exposition record sur la toile). Mais même dans le registre long, on retrouve son appétence pour la forme courte, l’éclat, à travers des chapitres brefs qui, parfois, se lisent comme des nouvelles indépendantes, d’autant qu’il y a beaucoup de flashbacks, comme si Thomas s’ingéniait à concasser le fil du temps, pour isoler les morceaux les uns des autres.

L’histoire ? Gabriel Vialle, acteur moyen, cinquante ans, vient de s’extirper des pattes d’Irène, chieuse sublime dont il a partagé la vie pendant quatre ans, à grands coups de crises et de vaisselle brisée. Au même moment, sa mère meurt en laissant 80 000 euros de dettes. Autant dire que sa vie bascule. Jugeant que ça justifie qu’il y réfléchisse, il se retire du monde pendant quinze jours, seul chez lui, sans répondre au téléphone. Quinze jours pour repenser sa vie, sa jeunesse, ses parents. Puis, comme Irène rapplique, il prend une décision : il plaque tout, rend son tablier d’acteur, file en Espagne où il a vécu, puis aux Baléares où son père a possédé une maison…

Rien d’original dans le scénario, mais Thomas n’a pas perdu la main : le style est fluide, direct, sans fioritures, un peu relâché parfois, et en même temps précis, économe, bien senti. Ses formules font mouche, moins dans les dialogues, rares, que dans les portraits. Irène ? « Une idée à la seconde, un désir à la minute, à ses côtés, rien n’était commun ». Les meilleurs croquis sont ceux des parents : la mère, diva paresseuse venue du swinging London, le père, jouisseur résigné qui joue aux marchand d’art. C’est un beau roman mélancolique sur le passé, les ratages irréversibles, le désir de fuite et d’aventure dans notre présent monochrome, rempli de scènes colorées, vivantes, souvent drôles. Sans les claquements secs de couperet qui impressionnent dans les proses courtes de l’auteur, mais avec un charme qui joue jusqu’au bout, avec la dernière phrase qui justifie le titre et explose sans bruit, à la façon d’une chute douce.