Avec ce premier roman, David Mitchell frappe très fort. Véritable tour du monde au rythme syncopé, mélange des genres parfaitement maîtrisé, Ecrits fantômes propose une immersion totale dans un univers en rupture. Pour ouvrir et clore le roman, un même personnage, ancien membre d’une secte en fuite après un attentat au gaz dans le métro tokyoïte, réfugié sur l’île d’Okinawa. Entre ces deux extrêmes, 8 lieux, 8 personnages : un ado décalé et fan de jazz, dans sa boutique de disques à Tokyo ; HongKong et ses traders usés ; la Mongolie sillonnée par les routards ; Saint-Pétersbourg, où une russe plus très jeune, entourée de gangsters à la petite semaine, rêve d’une retraite dorée en Suisse ; Londres et ses artistes underground ; Clear Island, où doute une chercheuse nobélisable. Et pour un dernier voyage, le Train de nuit d’un animateur radio new-yorkais, compagnon des âmes esseulées, apôtre d’un genre nouveau. Comment trouver, en 9 chapitres, le prétexte pour réunir ces endroits et ces gens dans ce tour du monde social, culturel et cultuel ? Comment balayer un si vaste domaine sans se perdre ? La réponse est simple : chaque récit est lié à celui qui le suit, puis à d’autres dans le roman, par des clefs plus ou moins évidentes, qu’on découvre progressivement.

Au cœur du livre, l’attentat de Tokyo, le krach des bourses asiatiques, l’action des mafias russes, l’essor des nouvelles technologies, la recherche ; entre les pages surgit le tableau d’un monde trop petit où tout le monde se connaît, un monde capable de faire le pont entre techniques de pointe et vie d’une vieille femme rescapée des purges en Chine communiste, chaman mongol et île irlandaise loin du monde. Sans jamais se tromper. Chaque chapitre est à lui seul un récit, tissant une trame narrative dense et complexe. Malgré quelques longueurs et des retours historiques qui ralentissent le récit, l’écriture est remarquable, mordante, incisive. Chose rare chez un occidental, Mitchell, lorsqu’il raconte le Japon, à Okinawa ou à Tokyo, vit dans ses personnages, n’est jamais l’étranger qui raconte mais toujours un japonais dans sa ville, donnant au récit un relief caractéristique. Enfin, à le voir puiser divers éléments dans des univers traditionnellement dévolus à la SF (Arthur C. Clarke n’est pas loin, lorsqu’on voit « les nuages effacer les étoiles, les unes après les autres ») pour les intégrer au texte, il ne reste qu’à s’incliner : nous sommes bien en présence du portrait vivant d’un monde contemporain en perpétuel mouvement.