En 2008, Lost city radio, premier roman de Daniel Alarcon, recevait un accueil critique absolument unanime. Albin Michel poursuit donc l’expérience et publie pour cette rentrée son premier livre, par en 2005 outre-Atlantique, un recueil de nouvelles dans lequel l’auteur, né au Pérou mais réfugié très tôt aux Etats-Unis, qui écrit en anglais et partage sa vie entre Oakland et Lima, explore les arcanes de sa double culture, des failles de l’histoire de son pays natal, des inévitables ambiguïtés qui déterminent son identité. Ainsi, ses personnages transitent souvent entre deux univers, Alarcon passant des uns aux autres avec une aisance déconcertante – c’est d’ailleurs dans les rares moments où il ne le fait pas que ses récits perdent leur souffle. Lima, la jungle, New York, la guérilla, les catastrophes naturelles forment la toile de fond de ces nouvelles, la pièce maîtresse, Guerre aux chandelles, proposant un chassé croisé à la chronologie hachée, son principal protagoniste hanté par l’idée de paternité et bridé par ses engagements idéologiques.

Le point commun de ces histoires où sont mis en scènes des peintres, des voleurs, des gamins, des journalistes, même des clowns, réside, peut-être plus que dans un certain sentiment de violence pas toujours contenue, dans la sensation de mouvement perpétuel qu’elles dégagent, comme lors d’une quête jamais véritablement aboutie, portée par une aspiration à d’autres lieux, d’autres rencontres, d’autres ambitions. Les nouvelles où Alarcon se déplace sur le territoire américain sont ici emblématiques. Quand Suicide sur la troisième avenue raconte une histoire d’amour entre un Péruvien et une Indienne, entravée par la modestie de l’un, la soumission à la tradition de l’autre, Absence s’attache aux pas d’un peintre, Wari, venu exposer à New York avec un visa pour deux malheureuse semaines et incapable de décider où se jouera son avenir, quels risques méritent d’être pris. C’est cette nouvelle aussi qui expose la problématique de la violence avec la plus grande lucidité, quand une invitée venue voir les tableaux de Wari lui dit y lire une violence que lui n’avait pas l’intention d’exposer.

Cette même non-intention pourrait s’appliquer à quasiment toutes les nouvelles du recueil. La violence y est présente, elle en est même constitutive, mais sans qu’on y lise de vraie intentionnalité. Simplement, le monde selon Alarcon est ; avec sa capitale, Lima, ogresse, vampirique, tyrannique, ses habitants usés, leurs désespérance tranquille. Ville de clowns pose cette démesure de la ville, son absurdité, mêlant la dérision à une certaine grandeur, alors que Déluge fait exploser les prisons et que les companero de Lima, Pérou, 28 juillet 1979, mettent à mort des chiens de rues peints en noirs. Une multitude de points de vue, d’angles d’approche, de perspectives s’enchevêtrent, qui donne son aspect hyper réaliste (voire quasi journalistique parfois) au monde en perpétuelle mutation qu’Alarcon dépeint, exposant des plaies dont certaines semblent toujours loin d’être pansées. Alarcon revendique, dénonce, témoigne. Figurer sur la liste Granta des espoirs littéraires 2007 a été son premier titre. A suivre, ses prochains faits d’armes, ou de plume : le Péruvien a manifestement de la ressource.