Les éditions Allia publient d’excellents textes. En voici un qui fera le régal de tous ceux qui osent prendre un peu de distance critique avec notre triste époque d’exclusion sociale de masse et qui ne trouvent pas aberrant que l’ANPE devienne un jour le plus grand employeur de France.

« Arrivé à cet instant fatal où le voile de l’illusion ne se déchire que pour laisser à l’homme séduit le tableau cruel de ses erreurs et de ses vices, ne vous repentez-vous point, mon enfant, des désordres multipliés où vous ont emporté la faiblesse et la fragilité humaine ? » Tel est le discours du prêtre, dans le Dialogue entre un prêtre et un moribond de Sade. Ici, le moribond n’a pas changé, mais il est devenu l’éternel étudiant que nous sommes tous, peu ou prou, devenus. Face à lui, une lascarde qui lui explique que l’Etat et le patronat ont fusionné les entreprises, les universités et l’ANPE. En laissant les bâtiments séparés de quelques centaines de mètres, ils entretiennent l’illusion d’institutions de contrôle distinctes. Le Capital, c’est comme Dieu : le centre est partout et la circonférence nulle part. Tous les trajets (les fameuses « carrières ») sont également dérisoires : de l’école ouverte aux entreprises, à l’université, de l’université aux stages en entreprises, et des contrats-formation au RMI, la boucle est bouclée, on ne décolle pas. Ce qui compte est la carrière, c’est-à-dire le C.V. Deux seules options : esclave ou mendiant, expérimentés et diplômés. L’ANPE, l’Etat et les entreprises travaillent pour vous, ils vous fabriquent des C.V. en béton, longs de plusieurs kilomètres et riches de formations sous-payées à ne plus pouvoir les compter. Il n’y a pas à rire ou à pleurer, c’est comme ça. Volonté du Capital, volonté divine. Le « droit du travail », c’est du luxe passé, c’est de la faiblesse de patronat. Contre ces petits avantages acquis, il y a l’avantage de la mondialisation. Habiles délocalisations, là où les travailleurs sont plus compréhensibles, plus souples, moins mesquins, plus soucieux de leur propre intérêt, là nous bâtirons la nouvelle Eglise du capital, l’Eglise mondiale. L’Argent est unique et grand, courbez l’échine. Jamais la richesse produite n’a été historiquement plus grande, jamais la pauvreté de masse n’a été aussi flagrante. Mais c’est la nature et ses lois inflexibles, inéluctables et nécessaires. L’Argent, c’est la vie ; et « La Société n’existe pas » (M. Thatcher). Il existe simplement des individus plus ou moins souples et flexibles, plus ou moins raisonnables, qui accepteront plus ou moins bien cette vérité : de tout temps, il y a eu des riches et des pauvres, des favoris de Dieu et des laissés pour compte dans les calculs divins. Tous les discours dominants visent cela : moraliser pour rendre acceptable, sachant que l’essentiel est de courber l’échine face à la fatalité.

Ce petit texte rapide, violent, cruel et lucide tient sous les dehors de la fiction un discours vrai et pose la seule question sensée pour ceux qui ne sont pas encore tout à fait endormis : « sommes-nous venus ici pour abdiquer au pouvoir, jusqu’au centre de notre être ? » Avant que la raison critique n’explose, que tous les patrons ne deviennent des droits de l’homme et que toutes les formes d’exploitation ne deviennent des consensus. A lire d’urgence.