Cormac McCarthy est sans aucun doute un auteur d’une très grande singularité, une figure remarquable des lettres américaines. Plus que l’attention minutieuse que tout auteur étranger devrait être en mesure d’exiger de ses traducteurs, la traduction des livres de McCarthy, en France, mériterait, proportionnellement, un véritable travail d’analyse des fondements mêmes de son œuvre. La réédition, par les Editions de l’Olivier, de Méridien de sang, déjà paru chez Gallimard, aurait pu en fournir l’occasion. Mais la lecture de ce texte d’une violence et d’un lyrisme inouïs, antérieur à la fameuse « Trilogie des Confin » qui a fait connaître McCarthy en France, déçoit et jette le doute sur le respect, par l’éditeur, de cette simple exigence.
Western crépusculaire, Méridien de sang est le récit d’une descente inexorable vers le cœur même de la violence humaine, aux confins d’une frontière impalpable entre les Etats-Unis et le Mexique, au milieu du siècle dernier. Dans « ces régions calcinées » où ils « ont venus se cacher de Dieu « , des chasseurs de têtes indiennes font de la Bible une exégèse très personnelle, où crachats et « vomi incandescent » se mêlent aux flammes de la damnation. Un jeune garçon les rejoint, un être « pâle et maigre » qui s’est « enfin défait de ce qu’il a été », tant et si bien qu’il saura prendre, lui aussi, sa part du sang.
On le voit, le sujet est sombre, et saisissant. Il n’est certes pas exclu que l’histoire, très linéaire, où les marches forcées succèdent aux pillages, soit en partie responsable d’une insatisfaction qui pointe dès la lecture des premiers chapitres. La linéarité, l’attente interrompue par un déferlement de brusquerie sauvage, c’est pourtant ce qui, dans leur langue originale, fait la force des récits de McCarthy. Ses dialogues sont comme le questionnement monocorde d’un ermite après le passage d’un fléau d’Egypte. Ses mots, par-delà leur signification biblique, interrogent l’espace, le désert, et l’(in)humanité des cœurs humains.
Si cet ouvrage, selon les mots de l’éditeur, « contient en germe » l’œuvre toute entière de l’auteur, pourquoi ne pas avoir réalisé le vrai travail de réédition qui devait s’ensuivre ? Pourquoi ne pas produire une traduction neuve qui permette d’approcher d’un peu plus près le puissant mystère de ce grand écrivain ?