Avant qu’il ne publie Saisons de la nuit, qui l’ont fait connaître en France et en Angleterre, Colum McCann, 34 ans, s’était essayé au difficile exercice de la nouvelle. Avec le recueil La Rivière de l’exil, il nous livre douze récits de longueurs inégales liés à son Irlande natale, cette île qui a tant souffert de voir partir ses enfants, aux Etats-Unis principalement, en Europe souvent, et même plus loin, en Australie. Les personnages habitant ces nouvelles -hommes et femmes-, exprimant leur tristesse à vivre loin de leurs racines et loin des leurs.
Le plus fascinant, au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture de ces récits, c’est de voir la capacité et la facilité avec lesquelles Colum McCann combine différents types de duos possibles, mêlant les âges, les sexes et les nationalités. Comme une expérimentation de toutes les relations humaines : les sœurs, les amis, le couple d’hommes, les époux, le père et la fille… Un narrateur à chaque fois différent prend ainsi en charge le cours de ces histoires que l’auteur semble avoir vécues, si on ne les lui a pas tout simplement rapportées. L’émotion se ressent ainsi fortement à travers tous ces personnages, fragiles et forts à la fois, en quête de bonheur et d’amour.

Mais le bonheur se paie comptant. Aussi, chaque histoire recèle-t-elle une faille, une fêlure qui nous entraîne dans le malheur : la mort, la maladie, l’absence, la folie, la solitude, soit autant d’entraves et d’étapes à surmonter, comme des passages obligés, pour mieux savourer la rédemption de cetains de ces personnages qui atteignent la félicité, ou renouent avec la vie. Chacun appréciera à sa guise ces douze histoires. Il faut reconnaître qu’elles sont inégales. Si certaines –Complètement déjantée et Une enfant volée– ont une structure lisible, avec un début, un milieu et une fin, d’autres apparaissent plus énigmatiques ; je pense notamment à Sœurs et Le long du quai. Trois d’entre elles sont particulièrement réussies, même si leur ton diffère sensiblement. Il s’agit tout d’abord de Un petit déjeuner pour Enrique, ou la matinée d’un couple homosexuel racontée alors que l’un des deux hommes est en train de mourir. Le monologue de « celui qui reste », soignant et regardant -littéralement- l’autre partir, est profondément émouvant. Il en est de même pour Je peux placer un mot ?, avec le soliloque de cette vieille dame qui fait la toilette mortuaire de son amie d’enfance. Quant à la nouvelle éponyme du recueil, elle est tout simplement bouleversante : des mères pêchent, des pères jouent au football, activités bien trop éreintantes pour leurs âges, et qui les empêchent de surcroit à penser à leurs enfants partis faire leur vie ailleurs…

Bref, ce recueil, malgré quelques faiblesses, est aussi rafraîchissant que cette rivière dont l’auteur nous parle, allégorie de la mémoire et du souvenir, et qui s’écoule en pleurant ses amours perdus, ses enfants exilés, tout en sachant qu’au bout de la rivière un lac garde précieusement ce qu’il reste de bonheur. Un hymne à la vie en somme.