L’objet de cet ouvrage est ambitieux : faire l’histoire des représentations photographiques de la guerre. Il s’agit du catalogue de l’exposition qui se tient actuellement au Musée des Invalides et sur les toits de la Grande Arche de la Défense. Le volume est imposant : 352 pages et 460 illustrations. Il comprend 24 textes, 7 entretiens et des dossiers iconographiques qui s’organisent en une première partie chronologique qui va de la guerre de Crimée jusqu’à celle du Golfe, et une seconde d’ordre thématique. Les photographies ont été volontairement séparées du texte pour parer à la tentation de n’en faire que de simples illustrations. Car ce sont bien ces photographies qui occupent la place centrale de ce livre et ce, malgré une reproduction sur un hasardeux fond olive qui tend à en gâcher la lisibilité.

La volonté de former une équipe interdisciplinaire pour aborder cette iconographie dans toute sa complexité explique le grand nombre de textes qui figurent au sommaire. Historiens d’art, des guerres, de la photographie, des relations internationales et photo-reporters ont ainsi été sollicités. Cet œcuménisme revendiqué -toutefois limité- conditionne un ensemble peu cohérent dans lequel on relève des contradictions trop nombreuses. Il est toutefois un fait qui revient dans nombre de contributions : celui de l’échec de la photographie à bien représenter la guerre. En outre, en un contexte de crise réelle du photo-reportage, n’y a-t-il pas dans le mélange des professionnels et de ceux qui tentent de dresser l’histoire d’une iconographie (et non pas d’une pratique) le risque de museler toute activité critique ? C’est justement autour de ces indécisions que l’historien de la photographie Michel Poivert choisit de construire sa réflexion. Cette contribution interroge avec pertinence la possibilité d’une photographie d’histoire qui soit, au même titre qu’un discours, mise en forme de l’événement.

C’est sans aucun doute autour de cette question cruciale qu’un fil conducteur fort aurait pu être donné à cet ouvrage. Car, définitivement, ces photographies ne peuvent être prises pour la réalité des faits qu’elles sont censées représenter, mais ne sont qu’interprétations de ceux-ci. Devant cette évidence, il aurait été intéressant de voir comment la photographie a façonné la guerre, l’a construite visuellement de manière très méthodique, tout comme le cinéma a pu le faire. Laurent Véray raconte comment en 1916, photographes et cameramen ont « largement recours aux reconstitutions et simulations ». Ainsi, la réflexion de Jean-Louis Comolli, cinéaste, sur sa pratique peut sans peine s’appliquer à ces photographies : « Partageant le secret des miroirs, le cinéma s’évertue à nous faire croire qu’il reflète ce qui est, alors qu’il fait bien mieux (ou bien pire) : il fabrique ce qui sera.(Arrêt sur histoire) »