La vie est pleine de cris, de déchirements, d’insupportables violences. Elle est là, vulgaire, aux pieds des immeubles : les jeunes qui les soirs d’été se regroupent comme en troupeau, et tournent et tournent sur leurs motos, leurs scooters toujours plus bruyants ou, quand ils ne font pas que crier, jouent aussi au foot contre les portes des garages. Elle est aussi dans les cours d’école où les gamins se courent après en se tirant les cheveux. La vie est vacarme, tumulte. La vie est plurielle. Et c’est contre cette vie-là que Luisa choisit le silence, en prenant sa retraite anticipée, en ne répondant pas au téléphone. S’il lui arrive de sortir, c’est comme une étrangère qui ne reconnaît pas les rues et se perd, étrangère à la ville, étrangère à sa propre vie. Sa force de vie, muselée en elle, prend la forme d’un cancer, que par fierté ou orgueil, ou parce qu’elle refuse de finir dans la vulgarité des hôpitaux, elle chérit malgré elle, en prenant soin de le cacher, de le nier, de le braver.
Le silence de Luisa prend alors la forme d’un paradoxe. Meurt-elle parce qu’elle aime trop la vie ? Parce qu’elle refuse la forme qu’elle a ? Le gaspillage insensé qui en est fait ? Ou crève-t-elle de jalousie, parce qu’elle est incapable de faire comme ces jeunes, de se jeter dans la vie à corps perdu, avec insouciance ? Meurt-elle d’avoir craint de compromettre son corps comme sa cousine sodomite ? Meurt-elle par mesquinerie ? Elle qui ne comprend pas comment les petits oiseaux sur son balcon peuvent rester indifférents aux pétarades du quartier, à l’enfer de la ville, comment ne partagent-ils pas son mépris.
L’écriture de Claude Piersanti est rigoureusement fidèle au personnage de Luisa, trop introvertie pour se donner au lecteur. C’est une écriture clinique, douloureusement clinique, qui refuse de vivre. Paradoxalement, c’est pour cette raison que j’admire son écriture et que je n’aime pas son livre. Luisa est un personnage mort-né. Dès les premières lignes, c’est sans espoir, on sait que la lecture nous enfoncera sans résistance et sans humour dans la solitude et le silence de la mort. On lui souhaite en vain un bon orgasme… La première phrase du roman est éloquente : « …elle rêvait d’un long escalier suspendu dans le vide. »