Lumière veut être la preuve par a plus b que l’on peut faire du neuf avec de l’ancien, que l’on peut faire autre chose que du réalisme social glauque. Claude Romano, philosophe de formation, s’empare d’un motif largement exploité par la littérature française : une histoire d’amour sur fond d’adultère entre un aveugle et une femme mariée. Rassurez-vous, il ne s’agit ni d’un texte inédit d’une des sœurs Brontè (on n’a pas retrouvé la suite de Jane Eyre), ni du dernier scénario d’AB Production pour ménagère de cinquante ans. Esprits cyniques et ironiques, évidemment, s’abstenir à tout prix ! Car Claude Romano jette les amarres dès la deuxième page : « elle aura tout ravagé, effondrées les digues de la souffrance, effondrées les digues contre la souffrance, tout cela mêlé, pêle-mêle, inextricable mélo ». Le genre est assumé, sortez les mouchoirs !

Mais comment être novateur avec un sujet si éculé ? Quel nouveau regard apporter ? Une seule réponse est envisageable : le style. Et c’est précisément là que se trouve la faille. Lumière est un livre bien fabriqué, bien propret, sans bavure, mais sans émotion. Et pour cause : du style naît l’émotion. Une histoire d’amour, pourquoi pas, mais pour que notre âme de midinette se réveille en sursaut, que la machine à mélo se mette en branle. Or, on lit là la « confession » d’un homme à son ancienne amante qui égrène, ça et là, quelques aphorismes, qui se plaît à jouer sur les sonorités, qui fait des bons mots comme : « je ne vais pas commencer à me vanter, me diras-tu, et tu as raison, à tort ou à raison, et cette fois, tu vois, je crois qu’on peut le dire, tu vas avoir raison de ma raison. » (p. 61). Et le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, non ?

On a le sentiment qu’il s’agit là d’un homme qui s’écouterait discourir, mimant de temps à autre le flou de la conscience avec les digressions, les associations de pensée, le « parler-vrai » de l’oralité qui en découlent : « je vais donc continuer, cahin-caha, vivant de ma belle mort, mourant de ma belle vie, c’est joli ça alors, mais c’est complètement nul, bref, je continue ». (p. 47) Comment croire alors à cet homme qui dit parler (il n’écrit pas puisqu’il est aveugle) pour exister, pour sentir cette douleur qui, elle seule, lui rappelle qu’il est encore en vie ? Il y a une espèce d’inadéquation entre une histoire qui voudrait témoigner d’une souffrance et une écriture qui ne la transmet pas. En contrepartie, les passages les plus réussis sont précisément ceux qui racontent les petits et furtifs moments de bonheur, de sensualité. On savait que les histoires d’amour se finissent mal en général, mais là on n’a pas compris pourquoi.