Cette plume peut abattre des murs. Pas totalement ceux de l’indifférence -tant d’années de prison, un livre magistral, Suerte, et si peu d’écho-, dépassionnée qui caractérise notre époque, mais sans doute les digues les plus dures à rompre : celles de notre prison intime. Car, longtemps Claude Lucas fut prisonnier du milieu, de ses cavales sordides, de la médiocrité des gens qui l’entouraient, de cette errance prolongée, et qui devait bien prendre fin, un jour, en Espagne, pour un simple contrôle d’identité. Aujourd’hui, il est encore détenu (quand tant d’escrocs et de criminels circulent librement : financiers, politiques, etc.). C’est dans les prisons d’Espagne qu’il écrivit ces quelques 500 pages autobiographiques (et à la fois romanesques) d’une beauté à couper le souffle. Car Claude Lucas a su trouver par le verbe le moyen d’organiser le chaos qui régnait dans sa vie. Son exil volontaire, bien au-delà de la tension haletante créée dans le livre, est l’appropriation -et à quel prix- d’un espace de liberté (celui du romancier, celui du sang) pour dire la fragilité de notre existence, démasquer la comédie sociale et misérable qui nous gouverne, et parler de la mort qui nous guette (elle est déjà tellement présente dans nos vies). Pour cela, il continue à payer. Le talent effraye toujours les médiocres (pour son cas : procureur et jurés qui le condamnèrent). Pourtant, personne ne pourra lui voler le don qu’il possède et l’espoir qui l’habite. Suerte ou le témoignage bouleversant d’un homme en vie. Est-ce cela que l’on ne lui pardonne pas ?