Alors que dans Grand Homme Chloé Hooper revenait sur un fait divers sordide, avec une véritable enquête apportant un éclairage dramatique sur les réserves aborigènes australiennes, Fiançailles tire plutôt vers le conte pervers, entre fantasme et claustration, initiation et roman d’ambiance. L’histoire tient en quelques mots : Liese Campbell, déçue par son métier d’architecte vécu comme une lente déshumanisation (« Quand je marchais dans la rue, les arbres devant moi se transformaient en réseaux 3D de lignes comme si je dessinais les différentes couches de la voute qu’ils formaient ; les bâtiments surgissaient de terre, tournoyant et montant à toute vitesse. Et quand mes pensées étaient parasitées par des visiteurs que je n’attendais pas, je dessinais une boîte autour d’eux et je les effaçais »), criblée de dettes et confrontée à  un relatif vide sentimental, fuit Londres pour l’Australie. Installée à Melbourne, elle joue à l’agent immobilier dans l’agence de son oncle.

 

Quand elle rencontre Alexander Colquoun, propriétaire terrien en quête d’un pied à terre en ville, elle bascule dans un jeu trouble qui, ne lui en déplaise, ressemble à de la prostitution ; mais, rappelle-t-elle, « j’avais des dettes, vous savez ». Alors qu’elle s’apprête à quitter le pays, Alexander Colquoun la convie à un dernier week-end, bien rémunéré, pour lui faire découvrir sa région natale. Elle découvre ainsi le domaine de Warrowill, maison victorienne et parcs à moutons, isolés en plein bush. « Instinctivement, j’eus envie de rire : réflexe d’enfant qui me revient quand je suis tendue. Généralement, les grandes maisons inspirent un certain respect. Mais là, j’avais en vie de rire tellement je trouvais déroutant d’en découvrir une au beau milieu de ce paysage sale, dur, battu par les vents ; mais je soupçonnais que mon hôte y verrait la preuve que j’étais enchantée par tant de majesté et par le moment qu’il avait choisi pour me dévoiler qu’il était un prince ».

 

Un prince, pourquoi pas. Mais l’arrivée au domaine signe la fin abrupte du jeu noué depuis des mois entre elle et lui. Liese semble d’ailleurs être la seule à avoir joué. Tandis que les heures s’égrènent, lentement, il est de plus en plus évident qu’alors qu’elle croyait à un simulacre pervers, qu’elle inventait une vie supposée coller à sa fausse identité, la réalité était autre pour Alexander. Illusions, folie, fragilité ? Les histoires deviennent réalité et les deux personnages s’enferment dans une bulle d’incompréhension, de fantasmes, d’angoisses, créant une atmosphère claustrophobique. Les bizarreries d’Alexander répondent à la normalité affichée de Liese. Chloé Hooper accentue le malaise par quelques scènes choisies : le pique-nique et la rencontre avec le cygne ; le dédale de pièces et de couloirs de la demeure, échos aux romans victoriens et leurs fantômes ; le jardin à l’abandon… Et, sommet d’absurde, le dîner (de fiançailles) et ses invités.

 

La tension va croissant, on se prend à douter de tout. Les rôles s’inversent. Les obsessions basculent. « Je l’avais invité dans ma pièce la plus intime. Une fois dedans, il s’était emparé de mon fantasme et l’avait complètement désarticulé. Jusqu’à ce que, par le plus grand, le plus improbable des hasards, je comprenne que je m’étais échouée dans un endroit froid, humide, inconnu. J’étais dans la pièce qui se trouvait à l’intérieur de sa tête à lui et il avait fermé la porte à clé ». Loin, très loin du conte de fée.