Carter contre le diable illustre la volonté de Super 8, nouvelle maison d’édition patronnée par notre ami Fabrice Colin (cf. Chro # 6), d’éditer une littérature « pop ». C’est le second titre de la collection après L’Obsession de James Renner. Soit une littérature transgenre, à la croisée du polar, du fantastique et de la science-fiction, qui s’abreuverait aux différentes sources de la culture populaire : cinéma, séries, jeux vidéos, comics, etc., pour des romans à la construction originale dont les modèles archétypiques seraient Cartographie des nuages de David Mitchell ou La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski. Un cahier des charges ambitieux donc, d’autant que d’autres collections ont déjà essayé d’exister à la marge des genres (« Interstices » chez Calmann-Lévy) mais ont fini par disparaître. Super 8 reprend ainsi le flambeau là où les lecteurs de Max Brooks et Jeff VanderMeer l’ont vu tomber pour la dernière fois.

Le roman de Glen David Gold, en réalité publié ici pour la deuxième fois en français (après une première traduction chez Michel Lafon en 2002), raconte l’histoire de Charles Carter, magicien professionnel accusé en 1923 par les services secrets d’avoir assassiné le président Warren Harding, retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel après avoir assisté à l’une de ses représentations. La vie de Carter nous est contée par le menu, des premières velléités de prestidigitation de l’enfance au spectacle final (qui voit pour la première fois l’utilisation d’un téléviseur) en passant par les années de cirque itinérant et l’élaboration progressive des plus grands tours de magie de son temps (les énumérations d’illusions sont en soi assez charmantes). Le roman connaît un climax de quelques 200 pages lorsque Carter, à deux doigts de la faillite, donne sa représentation finale et se retrouve confronté, dans un duel à mort, à son ennemi juré, le magicien Mystérioso.

Si le roman n’a rien de désagréable et se lit avec la facilité d’un page-turner estival, on regrettera peut-être son manque d’ambition, ce qui fait qu’il souffre de la comparaison avec ses modèles. Le côté multi-référentiel est bien là, avec ses détails d’époque et sa galerie de personnages pop (Houdini, etc.), mais l’ensemble peine un peu à décoller, la faute peut-être à un style très classique, sans prise de risque. Carter contre le diable se voudrait un mélange entre Le Prestige de Christopher Priest et Les Extraordinaires aventures de Kavalier & Clay de Michael Chabon, mais il n’a la force de frappe d’aucun des deux et ne parvient que rarement à communiquer une réelle émotion. Reste un divertissement plaisant, bien charpenté, joyeusement coloré, par un auteur qui croit sincèrement à la force des histoires : quelqu’un qui mentionne Stan Lee, Jack Kirby, et Steve Ditko dans ses remerciements mérite qu’on jette un œil à son travail.