Carlos Batista est le traducteur français d’Antonio Lobo Antunes et Poulailler est son premier roman : une oeuvre en trois parties (« la coquille », « le blanc » et « le jaune ») qui se développe sur le champ métaphorique qu’indique son titre. Le narrateur se confesse en creusant l’œuf pourri de son existence. Tout d’abord l’enfance au Portugal et l’émigration en France où, fuyant les coups du père et des maîtres comme les larmes de la mère, il trouve refuge dans le poulailler : c’est là qu’il se venge du monde en torturant quelques volailles, là aussi qu’il se nourrit de la seule affection qui lui reste en s’amourachant de Lili, la poule noire dont il lui arrive même de couver les oeufs… Et que son père l’obligera finalement à manger lors d’une déglutition rythmée par des claques. Le racisme et l’exploitation subis par ses parents ne feront que rabaisser encore la mère, enrager le père et détruire un peu plus un gamin qui, adulte dans la seconde partie du roman, se retrouve sans famille, sans patrie et sans virilité. Impuissant, comme castré par la violence paternelle, il compense l’absence d’étreinte par la drogue et l’alcool et l’absence d’identité par le mensonge ; par exemple, celui qui consiste à se faire passer pour le directeur artistique du magazine Vogue (dont il n’est en fait que le veilleur de nuit) afin d’obtenir, peut-être, cet appartement parisien pour lequel il fait la queue en conversant avec une jeune japonaise, ressassant ses souvenirs entre les étages où s’enlise l’attente.

Si l’écriture de Batista peut rappeler celle de l’illustre Antunes par certains aspects (le monologue ininterrompu brassant des réminiscences, principalement focalisées sur les contusions de l’enfance et le cercle infernal de la souffrance et de ses traumas, ainsi qu’une remarquable et lyrique virtuosité), Poulailler rappelle par d’autres côtés le Requiem des innocents de Calaferte et sa verve sombre et cruelle qui livre une confession ne visant pas tant à produire un déballage larmoyant qu’à constituer une matière volcanique à styler. On trouve aussi dans ce roman le thème, revisité d’une manière parfaitement convaincante, de la métamorphose animale des Kafka et Ionesco. Ici, le coq fait sans doute référence à la double culture de l’auteur et du narrateur, étant un symbole national en France comme au Portugal, gaulois ou lusitanien, avant de devenir un symbole universel et tragique. Car au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans le désarroi du personnage, on s’élève d’un plan à l’autre de l’hostilité du monde : l’agression dans la famille, due au père violent, devient l’agression dans la patrie, due au racisme et à l’exploitation, puis l’agression générale, éternelle, d’une humanité prise au jeu macabre d’un incessant combat de coqs où se confondent la cruauté et la vanité. Si on peut regretter les situations un peu trop anodines qui sous-tendent l’évolution pourtant efficace du roman, on appréciera à coup sûr l’attaque brusque de Batista, dont les ergots sont des lames.