1997 : un parfait inconnu sorti du fin fond de l’Idaho, persuadé qu’il y a moyen de tirer quelque chose de la vie tranquille des habitants de ces petites bourgades américaines qu’on voit dans les films des frères Coen, décide de lâcher les chiens et parvient à faire paraître Letting loose the hounds, petit recueil de nouvelles traduit un an plus tard chez Albin Michel. En onze textes brefs, Udall monte de toutes pièces son petit univers littéraire et s’inscrit dans le sillage des aînés glorieux que ne manquera pas de citer une critique emballée, de Raymond Carver, dont il se rapproche sans doute par le ton, à Rick Bass et Jim Harrisson, qu’il rejoint par le sens des portraits en demi-teintes et une ironie voilée mâtinée d’une sorte de modestie face aux sinistres réalités qu’il s’agit de décrire. On plonge ici dans ce qu’il convient sans doute d’appeler l’Amérique profonde, à cent mille kilomètres des mégalopoles grouillantes de businessmen cyniques et de leurs suburbs inquiétants où d’autres écrivains ont parfois été chercher la matière de leurs romans : ici, il ne se passe à peu près rien, tout le monde connaît tout le monde et la population tiendrait tout entière dans le seul rade à vingt kilomètres alentour, où éclate épisodiquement l’échauffourée de prolétaires alcooliques qui nourrira la conversation des prochaines semaines. Vous êtes dans l’un de ces petits patelins paumés d’Utah ou d’Arizona et pensez que ça n’est pas là que vous vous amuserez : de ces destins pathétiques et morceaux de vie insignifiants à l’échelle du monde, Brady Udall tire cependant la trame de récits captivants, souvent hilarants, parfois légèrement dérangeants et, à leur manière, toujours dérangés.

Ainsi en va-t-il de l’aventure inaugurale de cet étonnant recueil, qui voit un certain Goody Yates, terrassé par la douleur, s’affaler sur le bord d’une route, temporairement amnésique et dans un état de délabrement effrayant. Un badaud s’arrête et s’enquiert des causes de sa situation (« on dirait que vous avez une assiette sale à la place du visage ») : Goody est passé entre les mains d’un dentiste vicelard et s’est enfui, encore anesthésié, sans calmants pour soulager sa douleur et totalement incapable de parler. Notre homme l’accompagne dans une sorte de taudis où, en écrivant sur les murs, Goody parviendra à établir une communication surréaliste ; Udall mène sobrement son récit vers une chute qui n’en est pas vraiment une, car la vie, aussi pitoyable et désespérante soit-elle, doit continuer. Chacune de ces nouvelles, sinueuses fictions illuminées d’un humour en demi-teinte et du charisme involontaire de protagonistes résolument paumés mais étrangement attachants, trompe l’ennui et la normalité malsaine des bleds où elles prennent place par un recours naturel au comique et une générosité humble mais réelle. Et ces tranches de vie consternantes, éclairées d’une lumière nouvelle, prennent soudain le tour d’éclats d’humanité singulièrement réjouissants.