Après lui avoir expliqué l’histoire racontée par Booth Tarkington -prix Pulitzer avec ce roman en 1918-, le patron d’un bistrot remarqua, non sans à-propos, que La déchéance des Amberson eût été un meilleur titre. Sans lui donner raison, il est vrai que la magnificence de ladite famille est le point de départ du livre et que toute sa progression montre comment une fortune se défait aussi vite qu’elle se fait.

Dans la petite ville du Midland où se situe l’action, en 1873, le Major Amberson édifie donc une colossale fortune et devient l’homme le plus puissant de la contrée. Georges Amberson, son petit-fils gâté pourri, ne peut devenir autre chose qu’un monstre d’arrogance et d’autosatisfaction. Sa mère, sensible et droite, mariée à un homme qu’elle n’aime pas car elle a éconduit dans sa jeunesse un amant maladroit, lui est entièrement dévouée. L’amant en question, Eugène Morgan, revient bientôt en ville avec sa fille Lucy, dont Georges tombe immédiatement amoureux. Eugène vient d’inventer l’automobile et fonde son commerce. Les deux famille se côtoient. Tout bascule à la mort du père de Georges, quand il devient flagrant que sa mère envisage de se remarier à Eugène. Georges sombre alors dans la démence et, petit à petit, parviendra à tout perdre.

On n’en dévoilera pas plus pour ne pas trop déflorer le sujet. L’argument romanesque est solide, la fable autour des puissants fonctionne et le tout est bien ficelé. L’écriture est à l’avenant, d’un style concis et simple. D’où vient, alors, que l’on s’ennuie un peu à la lecture de La Splendeur des Amberson ? Même si le roman parle d’une époque aujourd’hui révolue, on ne peut reprocher à la littérature d’être de son temps. Le parfum désuet que dégage le livre vient d’ailleurs, de la manière de concevoir la littérature et de l’écrire. Un roman à thèses, quelles que soient les thèses défendues, reste toujours en-dehors de la littérature : un projet dont le but est de faire passer des messages et qui choisit de coller au réel ne peut se dégager du carcan dans lequel il s’enferme. C’est inévitable. Et si les idées que défend Booth Tarkington sont louables -montrer la fragilité des positions sociales et la vanité en action-, il ne dépasse jamais le cadre quotidien pour effectuer un vrai travail sur la langue. L’efficacité narrative se fait au détriment de toute poésie. La chronologie linéaire, la simplicité de l’intrigue et des personnages, sont dûs au fait que l’histoire doit servir un point de vue et que ses éléments constituent des symboles trop évidents, évitant la caricature grâce au talent de conteur de l’auteur.

Moralisme et littérature ne font pas bon ménage quand le travail de l’écrivain fait défaut. Reste cependant un livre bien tourné pour ceux qui veulent simplement qu’on leur raconte une histoire, et un objet de curiosité pour les fans d’Orson Welles qui adapta le livre quelques décennies plus tard, en l’accommodant à sa manière.