C’est un chemin biscornu que nous fait emprunter l’allemand Georg Klein pour son deuxième roman. Tout en contours, détours, tergiversations, Barbar Rosa nous plonge dans une enquête fantasque menée par un certain Mühler, rongé par des démangeaisons constantes, privé de permis de conduire -ça a son importance…-, incapable de la moindre initiative comme de la plus petite déduction, censé retrouver une fourgonnette récemment disparue avec tout un paquet de fric. Mais d’enquête, il n’y en aura pas vraiment, plutôt une déambulation hasardeuse, sa seule méthode consistant à retrouver des amis, marginaux pour la plupart, à l’image de Kurti qui « a passé plus d’un tiers de sa vie à pratiquer l’urophilie, de sorte que son cas est absolument sans espoir ». De digression en digression, l’auteur nous balade dans une ville -peut-être à l’image de Berlin, où vit l’auteur- ravagée par les outrages du temps, où chaque bâtiment menace de s’écrouler, chaque lieu possède sa propre histoire, même la pissotière que « seul l’exploitant d’un commerce de vidéos spécialisées réussit à remplir d’une vie sociale intense ». Mühler erre à la recherche de la fourgonnette volée, passe d’un endroit à l’autre sans qu’on comprenne trop pourquoi : « La logique d’une mission est comme un squelette dissimulé dans la chair de son déroulement ». « Sans but précis, mais d’un pas décidé », dit plus loin le narrateur, de plus en plus explicite sur l’irrationalité de sa démarche. Atome fou perdu dans une jungle urbaine démesurée, l’enquêteur progresse.

Georg Klein est un grand farceur. Si l’enquête n’a d’importance que dans la mesure où elle permet à l’auteur de mettre en scène son univers déjanté, il la mène pourtant avec un aplomb déconcertant, ne reculant jamais devant une phrase définitive et décalée. Et s’amuse à brouiller les pistes autour de ce personnage engagé dans la recherche de la vérité, en érection perpétuelle et capable des pires abjections : on le voit pénétrer dans une chambre d’hôpital et vouloir violer le corps gisant ; plus tard, il se rend dans un asile où il a visiblement ses habitudes, attend une victime et repart finalement bredouille. Riche de mille détails, pas toujours aussi salace -que les plus frigides se rassurent-, l’intrigue est servie par une écriture précise et raffinée, impeccable, qui se plaît pourtant dans un mauvais goût assumé et dans les rebondissements les plus farfelus.

Parfois saugrenu, souvent déroutant, on comprend ce qui fait le succès de l’auteur outre-Rhin, où son premier roman a été salué par la critique et a reçu un prix. Magnifiquement servi par une traduction fidèle et maîtrisée, Barbar Rosa s’impose comme un roman iconoclaste et d’une originalité féconde, dont les images et la langue continuent à vivre bien après que sa lecture en soit achevée. « Dans mon milieu, pour une raison un peu spéciale, on appelle cela les bécots du bonheur. »