Avec L’Art français de la guerre (Prix Goncourt 2011, donc), Gallimard retente un peu le coup des Bienveillantes cinq ans après : livre et sujet monumentaux, perspective sulfureuse et maîtrise extraordinaire pour un premier roman. En effet, il s’agit ici rien moins que d’une histoire de la France du dernier demi-siècle au prisme de ses guerres (Résistance, Indochine, Algérie), jusqu’au décryptage des mécanismes de l’émeute actuelle, qui préfigure une possible guerre civile. Choisir un tel angle et une telle profondeur de champ pour attaquer de front les sujets les plus sensibles de notre époque est sacrément audacieux, et le dispositif romanesque parfaitement opérant : le narrateur se fait enseigner la peinture par un ancien militaire dont il rédige en retour les souvenirs ; les récits guerriers sont entrecoupés de « commentaires », où le narrateur se raconte et analyse également quelques-uns des « faits divers » les plus marquants de ces dernières années, ceux issus du choc entre banlieues incendiaires et police militarisée, sur fond d’ethnicisation du conflit.

Dans un style très souvent admirable, par des évocations superbes et sensibles et des dialogues impeccables, Jenni déploie le panorama de cette France vue de la guerre, reliée aux récits fondateurs de César et d’Homère, et trace l’ébauche du drame de notre nation implosant du deuil impossible de son rayonnement et de ses propres contradictions. Mais il s’arrête en chemin, rabattant finalement sa réelle profondeur tragique et sa complexité sur un politiquement correct désarmant de naïveté (la guerre réduite à un sursaut d’orgueil bestial et l’évacuation du tragique au profit d’un « faites l’amour par la guerre » mué en injonction au métissage de masse). Après avoir déployé tant de pistes, tant de finesse et d’écoute sérieuse de chaque protagoniste, Jenni termine en mode binaire et sur une rencontre amoureuse inopinée tout à fait artificielle dans son jeu d’intrigues. Chef-d’oeuvre raté, donc. Ce qui est néanmoins immense.