L’homicide est une activité très prisée sur Terre. Dans son troisième ouvrage, Alexandre Lacroix a relevé le pari (très risqué pour un jeune écrivain) de suivre la chute de deux adolescents ayant tué un ami dans le seul but d’incliner le cours monotone de leur existence.

Dix ans après les faits, la prescription intervient ; Baptiste et Francis se retrouvent pour dîner afin de faire les bilans. Leur amitié s’est transformée en un vrai couple porteur de cet enfant -la mort- qu’ils ont fabriqué à deux. Etre sur terre, et ce que j’en retiens n’est pas l’analyse de la culpabilité advenue à la suite d’un meurtre, mais l’expérience d’une vie détruite par celui qui l’a niée. Les années d’errance de deux personnages nous sont racontées séparément ; ce sont deux journaux intimes qui se parlent dans la séparation. Le seul dénominateur commun des adolescents, malgré les rencontres féminines qu’ils font chacun de leur coté, est l’alcool qu’Alexandre Lacroix aborde sans romantisme. Les plus belles pages de l’ouvrage sont justement celles où l’auteur montre comment la boisson distord un temps devenu insupportable pour les deux complices. L’alcool est devenu, dans son approche paradoxale de la vie (qu’il met en relief tout en la supprimant) l’ultime expérience à tenter sur soi : « Je me sentais capable de boire sans limites.(…) J’imagine que l’alcool agit, à la longue, comme le sable qui s’infiltre dans les nervures du bois et l’empêche de pourrir, lui donnant progressivement la dureté de la pierre » fait-il dire à Baptiste dans un passage intitulé justement l’Epreuve. Ce troisième et spectral personnage du roman est aussi l’objet que l’auteur a d’ailleurs voulu étudier dans un essai paraissant ces jours-ci, intitulé Se noyer dans l’alcool ? (PUF).

Etre sur terre et ce que j’en retiens n’échappe malheureusement pas à de gros déséquilibres narratifs. Devant quelques accès de naïveté et la pauvreté des dialogues (bien trop lourds, très peu crédibles) Alexandre Lacroix semble avoir voulu imiter ses jeunes collègues en se forçant à écrire comme eux, c’est-à-dire mal. Là où son ouvrage surpasse cependant le flot mielleux de la rentrée réside dans la leçon de violence qu’il donne malgré lui à tout le monde. La violence, l’alcool, contrats sous-traités qu’Etre sur terre, et ce que j’en retiens remplit admirablement.