Les voies de l’import-export sont parfois impénétrables, surtout lorsqu’elles concernent les RPGs console. Le succès des Final fantasy n’y a finalement pas changé grand-chose puisqu’une fois de plus, les productions du genre arrivent au compte-gouttes en Europe, avec des absences impardonnables et des présences paradoxales (le très spécial Unlimited SaGa de Square, dans un avenir proche). Ainsi, c’est désormais une quasi-certitude, XenoSaga 1 ne sortira sans doute jamais sous nos latitudes -ou alors très, très en retard. Plutôt étrange, puisqu’il ne s’agit pas vraiment du petit RPG confidentiel et artisanal. C’est une grosse production, qui accumule les attraits et les travers du cinematic-RPG à la Final fantasy X. C’est d’autant plus regrettable que XenoSaga est un projet pour le moins intéressant. Ambitieux, radical et finalement relativement grand-public. Un petit rappel historique pour commencer, puisqu’on touche à quelque chose qui tiendrait presque du marginal : en 1998 sortait au Japon et aux Etats-Unis, sur PlayStation, un RPG édité par Square, XenoGears rapidement consacré comme un des meilleurs de sa génération. Xenosaga episode 1 : Der Wille zur Macht (très chic le titre en allemand) en est à la fois le prequel et le premier épisode. Une saga qui s’étalera sur plusieurs générations de consoles et sur six épisodes -dont XenoGears est censé être le cinquième. C’est assez tordu mais l’entreprise est indubitablement courageuse, surtout aux vues des déboires qu’a connu le Shenmue de Yu Suzuki, en mort clinique depuis la fin de la DreamCast.

Changement de propriétaire, le créateur du jeu, Tetsuya Takahashi, et son équipe ont déménagé chez Namco, sans que cela change sensiblement la donne. XenoSaga 1 est donc un RPG tout ce qu’il y a de plus classique au premier abord, avec son déroulement linéaire, ses personnages variés et complémentaires, et sa grosse menace de fin du monde qui pèse au-dessus du crâne de ses protagonistes. Evidemment son optique trans-générationnelle en fait tout de suite un produit à contre-courant, avec ce que cela implique comme risques. On sait dès le début, dans ce genre de configuration, que beaucoup de questions resteront sans réponses, et pour un bon bout de temps. XenoSaga 1 n’échappe pas à cette frustration : plus proche de la mise en bouche que de l’oeuvre complète et autonome. D’autant qu’il bénéficie d’un scénario tordu, complexe, et multi-couches. Un space opéra à la Asimov, dans lequel l’Humanité serait éparpillée aux quatre coins de la galaxie et posséderait désormais la maîtrise de la création de vie artificielle. Et serait confrontée à des entités spectrales assez vindicatives : les Gnosis . Point de départ classique, qui rappelle dans ses grandes largeurs la SF Japanim’ la plus large, de Gundam à Gunbuster. Mais à l’instar de XenoGears, XenoSaga 1 louche aussi du côté d’Evangelion, de sa mystique judéo-chrétienne, et de sa métaphysique post-ado. C’est parfois un peu lourdingue, mais le cumul barbare des clichés SF fonctionne plutôt bien.

Pour mettre en valeur un scénario et un univers aussi riches, on peut difficilement faire l’impasse sur les cinématiques, les cut-scenes et les dialogues rébarbatifs. XenoSaga 1 ne cherche même pas à les esquiver. Au contraire, il enfonce le clou en étirant les phases passives au-delà du raisonnable. On pourrait se demander pourquoi la pilule passe ici et pas dans Final fantasy X d’autant que le jeu de Monolith est encore plus linéaire que son homologue made in SquareSoft. Peut-être justement parce que le sujet semble d’actualité et qu’il est fascinant de le voir abordé sous ses formes les plus diverses. Humanoïdes artificiels à qui on reconnaît une conscience mais qu’on oblige à jouer les chairs à canon, clones, humains reconditionnés, androïdes déshumanisés et cyborgs se suicidant à petit feu en abandonnant petit à petit ce qui leur reste d’organique, le portrait de famille post-humaine est quasi-complet. Pour une fois, on échappe aux flirts de collégiens et à la morale nunuche, on ne s’ennuie donc pas vraiment même lorsque les cinématiques s’étirent sur plusieurs dizaines de minutes. Et puis, lorsqu’on a enfin l’occasion de jouer, il n’y a pas grand-chose à redire. Le système de combat est complexe et dynamique, permettant d’élaborer des stratégies qui servent enfin à quelque chose, les affrontements étant plutôt longs et beaucoup moins faciles que ceux des RPGs de ces dernières années. L’utilisation des robots est une bonne idée, bien qu’elle soit beaucoup moins bien exploitée qu’on ne pouvait l’espérer, et l’évolution des personnages est plutôt bien pensée. Malgré cela, XenoSaga 1 peut rebuter par son optique jusqu’au-boutiste de C-RPG. Et décevra sans doute les amoureux de XenoGears qui le trouveront certainement un peu trop court et moins charismatique. Inégal jusque dans son chara-design -on croirait des Thunderbirds nippons, avec un balai dans le cul et un visage lisse de poupée gonflable-, ses décors un peu trop cliniques, et une musique de Mitsuda (XenoGears, Chrono Trigger, Chrono Cross…) pas vraiment inoubliable, le RPG de Takahashi ne se laisse pas facilement apprivoiser. C’est un jeu peu aimable qui fait fi de l’indispensable magie qui caractérise la majorité des représentants du genre. C’est aussi une oeuvre qu’il est encore difficile de juger puisqu’elle est encore en gestation. Takahashi n’est donc pas tout à fait parvenu à faire du premier épisode de sa saga un produit suffisamment autonome pour ne pas provoquer la frustration. Mais il y a assez d’aspects positifs d’un point de vue scénaristique et vidéoludique pour continuer de suivre l’évolution de la série avec un intérêt tout particulier.