Qu’importe finalement que Vib Ribbon soit un jeu « musical », genre sacré au Japon, au grand dam de certains Occidentaux un tantinet perplexes devant le potentiel ludique d’un Parappa the rapper, d’un Dance dance revolution, ou d’un Samba de amigo. Ici, il s’agit de diriger Vibri, le lapin « with kaleidoscope eyes » sur un fil secoué de temps à autre par des obstacles multiformes générés par la bande-son de votre choix. Soit les sympathiques et dérangés morceaux de J-Pop disponibles sur le CD du jeu, soit vos propres disques, ce qui assure à Vib Ribbon une longévité exceptionnelle. A moins que vous ne possédiez qu’un seul et unique album de Patrick Fiori…
Soyons francs, le rapport sonorités/level design, même après plusieurs heures de jeu, n’est pas franchement évident. Certains niveaux paraissent bien speed sur des musiquettes catatoniques… L’aspect « musical » de Vib Ribbon se réduit donc surtout à proposer en théorie un nombre inquantifiable de niveaux à parcourir.

Non, en fait, ici, tout n’est qu’affaire de régression. Régression graphique d’abord. On ne sait pas si Masaya Matsuura -le créateur de Vib Ribbon mais aussi de Parappa the rapper– est un imposteur ou un génie -peut-être un imposteur de génie- mais il faut reconnaître qu’il fallait un certain culot pour faire régresser les graphismes d’un jeu PlayStation au niveau d’une console Vectrex. Plus sobre, tu meurs… Deux couleurs, du noir et du blanc, un graphisme filaire, de quoi dégoûter l’amateur de cinématiques Squaresoft pour la vie.
Régression ludique ensuite. Rappelez-vous les premiers mois de votre existence, lorsque vous essayiez en vain, dans un élan somme toute pré-pavlovien de faire rentrer un cube triangulaire dans un orifice circulaire. L’intérêt ludique de Vib Ribbon est tout aussi « stade anal ». Pour franchir un obstacle généré par le background musical, il faut appuyer sur la touche correspondante. Exemple : R1 pour passer le bloc, L1 pour la spirale, X pour les pics. Franchement basique. Là où ça se complique, c’est que les différentes formes d’obstacle peuvent fusionner. Genre R1+L1 pour le bloc-spirale, X+bas pour le creux-pic. Vous suivez toujours ? Dit comme ça, ça a l’air simple, mais dans le feu de l’action, il faut avoir de sérieux réflexes. D’autant plus qu’il faut faire preuve d’une précision millimétrique, sinon c’est la gamelle assurée. Le moindre changement de rythme, ou d’angle de vue, et c’est toute la mécanique rythmique qu’il faut revoir. Autant vous prévenir : dans ses passages les plus ardus, Vib Ribbon peut devenir diaboliquement difficile et donc foutrement excitant.
Régression biologique pour finir. Si, si ! Vibri, le lapin explosé à l’ecsta, le rongeur à la rétine méga-dilatée, évolue ou régresse selon votre capacité à mener à bien son excursion. Si tout se passe bien, il se transforme en « prince ailé » un peu chochotte. C’est son plus haut degré d’évolution. Par contre, si vous jouez comme un manche, il se retrouvera dans la peau d’une grenouille, pour finir en tétard-avec-une-tête-en-forme-de-télévision (sic !). Au-delà, c’est la mort instantanée. Evidemment, évoluer s’avère beaucoup plus lent et difficile que régresser, cela va sans dire.

Vib Ribbon, donc, au-delà de son côté « musical » nippo-exotique, est surtout un jeu d’une simplicité biblique et d’une stupidité admirablement assumée, aussi addictif que les carottes hallucinogènes dont doit se bourrer le junkie-rabbit Vibri. Avec ses fibrillations hypnotiques, il provoquera sans doute, au mieux une myopie accélérée, au pire un retour d’épilepsie. Qu’importe. En vidant le jeu vidéo nouvelle génération de sa substance -pas de véritable challenge, il suffit juste de terminer les niveaux- et de ses oripeaux -un graphisme ultra-minimaliste-, Matsuura nous a presque pondu une véritable œuvre d’art contemporain. Mais c’est aussi, et surtout, un « putain de bon jeu ».