Oubliez les mondes merveilleux où votre civilisation naissante, bercée par les rayons d’un soleil zénithal, entamerait une course effrénée vers une croissance radieuse. Ici, au pays de Tropico, la création d’un empire financier ou politique passe avant tout par une phase relativement longue de bataille acharnée où l’on s’étripe à qui mieux mieux le soir venu. On l’aura compris, Tropico joue la carte du cynisme forcené apportant dans le petit monde trop gentillet de la simulation une pointe de piment des plus rafraîchissantes. Du 100 % politiquement incorrect en somme.

Reprenant les concepts qui ont fait le succès de la série des Sim city, Tropico vous met aux commandes d’une île soi-disant paradisiaque en plein milieu de l’Amérique latine. A vous ensuite, jeune dictateur ou futur président, de conserver le pouvoir par tous les moyens possibles et imaginables. Car si par bien des aspects Tropico ressemble à s’y méprendre à n’importe quel jeu de simulation économique (il vous faudra comme d’habitude choisir un modèle économique, le développer, satisfaire les besoins de la population en les amusant, les cultivant, etc.), les missions proposées ici auront tôt fait de déniaiser le joueur. Pas question de se la jouer soupe au lait, la maîtrise du pouvoir nécessitera une certaine poigne, quitte à trucider une bonne partie de la population. Car dans tous les cas, le peuple reste la base essentielle de toute votre gestion. Que vous optiez pour un régime communiste, une république bananière ou pour votre transformation en suppôt du capitalisme, les moyens mis à votre disposition sont loin d’être démocratiques. Entre les escadrons de la mort, l’ostracisme, sans oublier le recours possible à une visite papale, Tropico aime à cultiver avec finesse et subtilité les terreaux culturels de l’Amérique latine pour enrichir un gameplay tombé quelque peu dans la guimauve la plus abjecte. Il vous sera dès lors possible de condamner à mort d’un simple clic, un paysan récalcitrant, excommunier un col bleu trop révolutionnaire ou mieux encore : décréter la loi martiale et vous enfuir avec la caisse de l’Etat. Un pur régal.

Dans ce meilleur des mondes, tout n’est cependant pas envisageable. Doté d’une intelligence artificielle digne de ce nom, le jeu propose une difficulté croissante parfaitement gérée. Si les premières missions vous demandent peu d’effort (cultiver et créer le meilleur cigare du monde), la suite des festivités s’avère plus musclée. Remplacer au pied levé un dictateur en exil et reprendre contact avec une multinationale du fruit aux visées peu démocratiques impliquent de faire preuve d’un certain doigté sous peine d’assister, impuissant, à l’explosion urbaine. Au moindre faux pas, c’est la rébellion assurée, bandes de guérilleros et population en colère compris. En clair, Tropico parvient à réinsuffler dans un gameplay à la baisse une bonne dose d’humour sous fond de samba colorée, tout en préservant les phases de gestion pure. Un savant mélange parfaitement orchestré.

Un bonheur qui malheureusement bénéficie d’une réalisation très particulière. En dehors d’une interface globale assez peu usuelle qui nécessite quelques heures de pratique (un didacticiel très fourni accompagne le soft), l’exploration des différentes îles se déroule suivant un système de zoom et de scrolling assez étrange. Contrairement à la majorité des softs qui se limite à une seule vue, Tropico offre au joueur la possibilité de rencontrer au plus près son peuple et de connaître en quelques clics l’historique complet de la vie de ses autochtones. Manque de chance : le passage entre les différents états de zoom est parfois très aléatoire, ce qui gêne l’action. Enfin, regrettons que l’ambiance sonore, mais surtout les graphismes, ne soit pas totalement à la hauteur du reste. En vue globale, c’est confus, et tout juste acceptable en vue rapprochée.
N’empêche, Tropico pousse tellement loin le cynisme décalé, qu’on sent bien là une bombe en puissance. Elle n’éclatera peut-être jamais vu le genre, mais disons qu’elle a au moins le mérite d’exister.