Héritier du canapé clic-clac et d’une légion de robots Bandai qui ont fait bander les kids au début des années 80, le « Transformer » est un concept. On pourrait sobrement le résumer par du deux-en-un mais la formule serait trop rapide, ou trop évidente. Disons que le « Transformer » mobilise des états tangents : il est double, jamais vraiment mecha, jamais vraiment bagnole, MIG ou hélicoptère. Pourtant sa nature est unique et il se singularise par cette identité mutante reposant sur sa transformation. Ni robot à figure humaine ni machine fabriquée par l’homme mais dont pourtant il hérite, il est entre les deux, au milieu, là où pour Deleuze poussent les choses. Le Transformers est davantage qu’un jouet bi-goût, mais l’idée qui, après Simondon, répond à une histoire/trajectoire des objets techniques. A ce qu’il y a d’humain dans la machine (ou ce qu’elle dit sur nous), laissant tout autant une place inattendue à la métaphysique.

Que l’univers de Transformers trouve sa place au sein du jeu vidéo n’est pas une nouveauté. Mais à défaut d’une sympathique version PS2 en 2004 (lien), rien n’a vraiment su donner la mesure des enjeux se jouant dans le monde d’Optimus Prime et Megatron. La faute est enfin un peu réparée avec Transformers – Guerre pour Cybertron. Sans autre opportunité que s’engouffrer avec conviction dans la licence légendaire, plutôt coté comics, High Moon Studios réalise mine de rien le jeu qui met en mouvement et illustre le concept de Transformers. Glissons un peu sur les présentations : TPS sans réel apport pour le genre après GOW et Uncharted, le jeu se contente d’un gameplay solide, varié, étoffé par des phases de plateforme et une orientation coop – sans toutefois en faire un dogme comme cela devient l’usage (voir Lost planet 2). Il lui manque de quoi faire la différence, une petite nouveauté qui donnerait aux gunfights une dimension plus technique, mettons réaliste – difficile aujourd’hui de jouer à un TPS sans option de couverture, mais soit. Le rythme reste malgré tout soutenu, et le fait d’incarner les deux camps (Autobots et Decepticons) permet de jongler avec les capacités des divers personnages dont les transformations se révèlent sans réel intérêt – sauf durant les niveaux aériens. Cette relative incapacité à articuler le gameplay autour de ce qui fait l’identité de Transformers peut décevoir, ou étonner. Mais on l’excuse : la singularité du titre découle moins du genre dont il hérite et comment il y intègre la nature des Transformers que du monde qui l’englobe.

De loin, cela paraitra peut-être paradoxal : si le concept de Transformers tient sur une idée maitresse à peine exploité par le jeu, comment celui-ci en aurait-il saisi la portée ? En le déplaçant. Dans Guerre pour Cybertron, importent moins les personnages et leurs pouvoirs que l’environnement. On n’offrira peut-être pas à High Moon un prix pour son level design, mais le studio a su bien illustrer dans les décors l’identité mécanique mutante des Transformers. Difficile parfois de se repérer dans les niveaux, de comprendre leur construction ou d’afficher mentalement leur architecture – sans toutefois qu’on ne se perde, tout est relativement linéaire. C’est pourtant par leur complexité visuelle, cet enchevêtrement de structures industrielles, mécaniques, électroniques, cybernétiques, que le jeu façonne son exploration conceptuelle. D’une part s’expose plus que jamais ce point d’interrogation étrange posée telle une gaze sur Transformers : d’où vient ce monde, qui l’a bâti, comment cette civilisation empruntant tant à l’humain a-t-elle été possible ? On pourrait dire : c’est le propre d’un nombre incalculable de jeux vidéo, pas toujours futuristes. Vrai, et on pourrait s’amuser à compter les références. Mais Transformers pose une autre donnée propre à sa formation initiale : celle d’un monde énergétique. Il en va alors des fluides, de l’électricité, des atomes, de tout ce qui met en mouvement et modifie les choses. Guerre pour Cybertron entretient cette problématique à travers un espace où la nature naît avec l’ère industrielle, exclusivement. Il n’y a pas possibilité d’un avant, d’une autre histoire, le monde semble intégralement façonné et gouverné par des machines vivantes.

La cohérence esthétique parait alors évidente. Elle l’est. Entre autres. Mais il y a peut-être plus à voir en considérant le fait que ces robots cachent sous leurs capots une forme, simple, vulgaire, enfantine, de l’idée d’individuation des machines – illustrant et s’accaparant, au risque de paraître elliptique, les thèses de Simondon. Avec ce monde parallèle ultra référencé et hyper abstrait, quelque part entre la vie extra-terrestre rattachée à la mythologie egyptienne, aztèque (Stargate, Les Cités d’or) et une nouvelle mystique industrielle, Transformers donne du vivant aux machines – non en caractérisant les personnages, ou parce qu’il s’agit de robots, mais à travers ce principe d’énergie qui dans Guerre pour Cybertron s’innerve jusque dans les moindre détails. Tout ceci participe d’un projet logique qui, puisant dans le berceau fantasmagorique d’une humanité cybernétique naissant avec l’arrivée de l’ordinateur personnel et la popularisation des chaines de montage robotisées, imagine un monde technoïde se ressourçant à des inspirations lointaines, ésotériques, transgenres, magiques. Afin d’y retrouver des potentiels, une complexité, un accroissement, une narration. Pure fiction pour enfants, sans doute, mais aussi la trace d’un spectre plus intriguant, délirant, montrant que jusque dans ses objets inoffensifs se cachent de petites pépites théoriques.

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