Après avoir fait revenir la série sur le devant de la scène avec un Tomb raider : Legend sans doute un peu trop pop-corn mais relativement plaisant, Crystal Dynamics, nouveau protecteur de l’égérie Lara Croft, effectue son baptême du feu en se réappropriant les origines cultes de la saga.

Le premier Tomb Raider, développé par le modeste studio britannique Core Design, est un jeu fondamental dans l’histoire de la 3D, tout comme l’a été Super Mario 64. Le parti-pris le plus important du titre, de l’aveu même du créateur de Lara Croft, Toby Gard, c’est de « créer un univers cinématographique dans lequel le joueur puisse s’immerger ». La tentative de concevoir ce que nous nommerons pour plus de facilité un « gameplay cinématique » n’a pas été inventée avec Tomb raider, elle est en réalité bien antérieure. Le Prince of Persia de Jordan Mechner était déjà animé de ce désir, tout comme Flashback : The Quest for identity des français Delphine Software. Des jeux (et il y en a d’autres) qui ont sans aucun doute influencés le titre de Core Design. Du reste, Tomb raider n’a pas inventé grand-chose sur le strict plan ludique, mais il a au moins osé mélanger les genres. Concrètement, il s’agit d’un jeu de plate-forme avec une bonne dose d’action, rien de bien nouveau à ce niveau-là. Mais ce qui rend la saga unique, c’est d’une part le fait d’intégrer cette approche dans un univers en trois dimensions, et, d’autre part, le fait que son monde soit immense et ouvert à l’exploration. On retrouve ainsi, à l’état embryonnaire, le concept d’open world et de free-roaming. En terme de level design, l’approche est également très expérimentale pour l’époque, et d’ailleurs Core Design continuera longtemps d’explorer cette voie dans les épisodes suivants de la série, notamment avec Tomb Raider 3 : Adventures of Lara Croft ou l’épisode maudit et génial Tomb raider : The Angel of darkness.

Tomb raider : Anniversary est-il donc un remake ou une variation sur le même thème ? La question est légitime, mais jouer à Anniversary sous le seul prisme d’une mise à jour technique conduit irrémédiablement à la déception. Si le scénario est globalement identique, le découpage des niveaux, entièrement inédit, n’est pas aussi probant que celui proposé par Core Design : de nombreuses zones ont été simplifiées, voire fusionnées ou totalement supprimées. En réalité, la seule manière d’envisager sous les meilleurs auspices Anniversary, c’est de le voir comme une proposition alternative à l’œuvre originale, une manière de balayer le passé et de faire profiter a la doyenne du genre des dernières avancées dans le domaine du jeu d’action-aventure. Le titre hérite donc de la maniabilité souple et intuitive de Legend, récupère aussi des QTE façon God of war et des boss-fights issus d’une longue tradition vidéoludique. Considéré sous cet angle, Anniversary apparaît d’une efficacité redoutable et presque parfaitement calibré.

Les aires de jeux sont pensées avec une telle cohérence et une telle précision que chaque niveau thématique (Pérou, Egypte, etc.) fonctionne comme un open world miniature. En dix années d’existence sous la houlette de deux studios différents, Tomb raider est toujours capable d’offrir un monde qui semble vierge de tout contact humain, une véritable richesse historique implicite, face auquel le joueur médusé se sent toujours dépassé. Pour surmonter cette ivresse des profondeurs, le salut passe par une réappropriation quasi-physique de l’univers, étudier la topographie des lieux, réfléchir mûrement la moindre action. Et triompher d’une énigme dans le flow de l’action. Malgré une structure d’une étonnante fluidité, Anniversary est un jeu long et difficile qui demande au joueur un certain degré d’investissement personnel. Evoluer dans ces immenses décors, avec pour seule distraction quelques combats ponctuels contres des mammifères agressifs et des boss encore plus rares, prend des allures de voyage spirituel. La solitude est palpable, parfois même angoissante, et, au contraire de Ico ou de Shadow of the colossus, autres grands jeux contemplatifs, le joueur / Lara Croft est complètement isolé. Ni spectaculaire, ni tape-à-l’oeil, Tomb raider : Anniversary n’a finalement d’autres prétentions que de faire exister un univers et d’y projeter le joueur. Il n’est pas le seul à s’engager sur ce terrain, mais il le fait beaucoup mieux que les autres.