C’est l’histoire d’un type qui aime les chewing-gums Airwaves™. Il s’appelle Sam Fisher. Confortablement assis au fond d’un sous-marin (ou d’un hélicoptère, on ne se rappelle plus trop), Sam mâchouille d’un air débonnaire son chewing-gum Airwaves™ avant d’aller flanquer une branlée à une bande de terroristes marxistes-léninistes, le paquet de chewing-gums Airwaves™ délicatement posé à côté de son auguste personne (zoom sur le paquet de chewing-gums Airwaves™). Parfois, Sam est un peu tête en l’air. Il oublie son paquet de chewing-gums Airwaves™ entre deux gros containers (gros plan sur le paquet de chewing-gums Airwaves™), alors qu’il est en pleine mission secrète pour infiltrer un cargo grouillant de méchants trotskistes-maoïstes. Le plus beau jour de la vie de Sam ? Lorsqu’il débarque à Manhattan pour se faufiler à l’intérieur d’un repaire de pourritures gauchistes, et qu’il aperçoit, flottant dans le ciel au-dessus d’une impressionnante forêt de buildings, un immense dirigeable Airwaves™ (plan large, le dirigeable est tellement énorme qu’on ne peut pas le louper).

Comme on ne peut pas penser une seule seconde qu’Ubisoft use et abuse de stratagèmes aussi grossiers pour marquer Electronic Arts à la culotte dans le domaine du placement de marques, on ne peut s’empêcher de voir derrière cette profusion d’allusions à une marque de chewing-gums censés masquer une haleine difficile un insidieux message caché. Que fallait-il à Splinter cell, après un premier épisode remarqué, et un sequel faisant office d’add-on prétexte pour introduire un mode multi online particulièrement novateur et réussi ? Une bouffée d’air frais. Respirer un grand coup et exploser le cadre un peu trop restreint dans lequel l’espion en herbe était plongé, réduit à l’état de toutou obéissant à un schéma de progression psychorigide. Splinter cell s’ouvre enfin, un peu, juste ce qu’il faut pour ne pas trop s’éloigner d’une certaine logique dans le déroulement des missions. C’est heureux, malgré quelques dommages collatéraux, dont une map illisible et un système de quick-save qui rend le jeu bien trop abordable pour le commun des mortels. Chaos theory est indéniablement l’opus le plus abouti de la saga, mais il y a toujours quelque chose qui cloche : Splinter cell se brade. Au bout de trois épisodes, ses mécaniques n’ont plus de secrets pour personne et commencent à sentir le moisi. Mais surtout, malgré les intrigues tortueuses et obscures pondues par des scénaristes stagiaires sous contrôle du « maître » Tom Clancy, malgré l’intention louable de se démarquer d’un manichéisme un rien pesant (les nord-coréeens ont beau être communistes, on trouve toujours plus méchant qu’eux), Splinter cell n’a toujours pas la « carte ». Comme son concurrent direct : chaque sortie d’un nouveau Metal gear solid est un événement qui draine derrière lui toute une série de débats fiévreux (« Kojima est-il un génie, oui ou oui ? »), de rejets sans appel (« Raiden est une petite pédale »), ou de grands cris d’amour aveugle (« si tu trouves les caméras de MGS pourries, c’est que tu ne sais pas jouer à MGS« ). Pour Splinter cell, rien. Parce que rien ne change fondamentalement. Parce qu’on a trop passé de temps à tirer sur des ampoules pour attirer des gardes vraiment pas dégourdis. « Qui a éteint la lumière ? » – « C’est moi… » Clac, un coup de canif dans les carotides. Parce qu’on n’a toujours pas trouvé de réelle utilité au fameux grand écart vandammien ou à l’improbable position du cochon pendu… Dès lors que la méthode pourtant incroyablement grillée du pétage d’ampoule fonctionne à tous les coups, pourquoi s’emmerder avec des acrobaties très stylées mais nettement moins efficaces qu’une bonne grosse claque derrière la nuque ?

Cette sensation de déjà-vécu, cette obsession de plonger le jeu dans le noir le plus complet alors que ses concepteurs s’efforcent de pondre un moteur de plus en plus tape-à-l’oeil, et cette absence dramatique de personnalité nuisent à l’aura de Splinter cell. Même Pandora tomorrow, épisode passablement feignasse, essayait tant bien que mal d’introduire un semblant de variété dans les missions, du train Paris-Nice au camp de terroristes perdu dans la jungle indonésienne. Chaos theory, de son côté, reprend les mêmes recettes que le premier opus, entre un établissement de bains japonais embrumé, qui rappelle le niveau de l’abattoir, et l’immeuble hi-tech de la société Displace, qui fait écho au siège de la CIA. En fait, il est temps pour Splinter cell de faire violence à son concept. D’introduire un peu de la lumière du jour, de bousculer radicalement son gameplay, un peu comme dans ce passage de Pandora tomorrow au cours duquel on devait s’échapper des zones d’ombres pour tromper la vigilance d’un sniper équipé de lunettes de vision nocturne. Et puis trouver un véritable souffle. Inutile de singer la série-phare de Kojima : lorsque Splinter se pique de jouer la distanciation, le résultat est au mieux pathétique (« Voyons, Sam, nous ne sommes pas dans un jeu vidéo » + rires gras). Non, il suffit de se libérer des chaînes d’un réalisme castrateur. On se fout que Splinter cell soit crédible, d’un point de vue géopolitique ou technologique. Donnez-nous de vrais bad guys, des femmes fatales, du James Bond crépusculaire, un peu de sex-appeal et des phases de jeu mémorables. De Chaos theory, on ne retient rien, si ce n’est une belle mécanique de jeu qui commence à s’essouffler et un univers un peu terne qui se mord la queue. Or, Splinter cell mérite mieux que ça, il a besoin d’idées neuves, jusque-là réservées au multi qui s’enrichit cette fois-ci d’un mode coop’ particulièrement diabolique. Il va falloir brainstormer sec pour le prochain épisode. Première suggestion d’une longue série : virer Tom Clancy.