Certains ont survécu, d’autres non. Avec Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, Ubisoft Montpellier jette les fondements sains du devoir de mémoire par le jeu vidéo. On pourrait croire la formule déjà toute trouvée, voire éculée, tant l’Histoire imprègne le médium. Seulement cette dernière n’est bien souvent que prétexte à la mise en scène de stratégies guerrières, de vues subjectives rasoirs, de grands espaces reconstitués. Si le jeu vidéo a su maintes fois nous convaincre de l’Histoire à force de rabâchage technique et tactique, il a rarement su nous en persuader.

Soldats Inconnus ne vient cependant pas bouleverser les codes d’un genre rodé à l’extrême qu’est le puzzle-game. Au contraire, il demeure même plutôt limité sur ce point-là, à la fois répétitif et peu spontané. Seulement son prisme fait sa fraicheur. En effectuant des allers-retours incessants entre la narration froide, globale, du conflit, et celle de notre quatuor de cœurs vaillants, le récit de Soldats Inconnus profite d’une contextualisation particulièrement ludique. Muni, pourtant très chichement, d’une collecte d’items (accompagnés de descriptions) et de quelques interludes en voix-off carte à l’écran, disséminés çà et là, le titre d’Ubisoft se pose en professeur pragmatique qui sait que pour faire passer une leçon, il suffit de joindre l’utile à l’agréable.

C’est donc à travers son superbe crayonné si typiquement européen et ses faux airs de bande-dessinée interactive que l’on découvrira les horreurs et les fiertés de la Grande Guerre. De monstrueux titans d’aciers, aux dédales de boue surmontés par des No Mans Land cisaillés du jaune mordant des balles qui fusent, la guerre est là, plus colorée qu’on ne le croyait, mais tout aussi bruyante que ce que l’on s’imagine. Elle s’invite à l’écran dans d’innombrables vignettes qui impriment la rétine. La dynamique frappante du montage de Paul Tumelaire (directeur créatif) est faite de transitions glissées, de superpositions, de coups d’éclat (quasi-hollywoodiens par instant), dans un style proche de ce qu’avait réalisé Ashley Wood sur Metal Gear : Peace Walker : autre guerre, même rengaine.  Néanmoins malgré sa vivacité, l’univers de Soldats Inconnus n’épargne pas au joueur la poisse du quotidien des tranchées ni les innombrables paysages ruinés. Son attrait esthétique devient pédagogique par le contraste qu’il souligne à chaque tableau. La guerre cerne nos héros comme elle cernera le joueur.

En mettant à son service dans la bonne moitié de ses phases de jeu un side-scrolling serré et exigeant dans la veine d’un Metal Slug – les pétards en moins, on ne tue personne -, Soldats Inconnus nous accule, nous fait prisonnier de l’omniprésence de la guerre et de son inéluctabilité. On se retrouve à scruter avec insistance l’écran, afin d’éviter coute que coute cette énième pluie d’obus qui n’en finit plus ; ou bien à s’énerver sur notre manque d’adresse sur les séries de QTE en tentant de réanimer un blessé. Ubisoft Montpellier matérialise dans ces phases de jeu toute l’urgence désordonnée des batailles, ces boucheries parfois inexpliquées malgré les faits, ces atrocités qu’on ne parvient à rationaliser mais qui sont, comme celle du Chemin des Dames. Quand les canons retentissent, le branle-bas le combat sonne la course-poursuite contre sa survie.

En dépit de la tension morbide qui inonde les phases au front, le studio français ne peint pas qu’une toile tragique. A travers les destins entremêlés de ses personnages, le récit prend le temps de distiller quelques instants de modeste bravoure. Ce sera parfois l’occasion de valser sur le tempo des canonniers avec un air de French Cancan dans d’improbables évasions Bondesques en bolide d’époque. Plus souvent, Soldats Inconnus se met au repos dans des phases de puzzle basiques  dont la tranquille banalité vient à créer l’angoisse d’un lendemain aux assauts incertains. Car moins qu’une aventure, qu’une quête, il est plutôt une humble fresque de cœurs pétris par le désarroi, mais braves.