Ca n’est même plus de la peur, c’est de la douleur. Une torture atroce et terrifiante qui prend aux tripes et qui s’insinue durablement dans nos organes, comme aucun autre jeu – ni même le plus extrême des films d’horreur – ne pourra jamais nous l’infliger. C’est une expérience limite et presque unique en son genre, et c’est pourquoi on oubliera finalement très vite que Silent Hill 3 n’est « que » la suite un peu paresseuse et discutable du prodigieux Silent Hill 2…

Lourde tâche en effet que de succéder à un tel chef-d’oeuvre. Silent Hill 3 s’y prend d’abord très mal en situant la première partie de son intrigue hors de la fameuse station balnéaire embrumée : succession de couloirs sans âme, centaines de portes inutiles, hordes de créatures inégales mais particulièrement vindicatives, deux ou trois énigmes simplettes (1). Un parcours téléguidé, éprouvant pour les nerfs mais plombé par un gameplay survival pur jus qui n’a jamais semblé aussi inepte. Patience. Le chemin est (trop ?) long, mais les délicieuses abjections qui nous attendent une fois arrivé à Silent Hill valent largement le détours. On coince brièvement sur la sensation de déjà-vu, d’autant qu’on nous envoie directement faire une visite dans cet hôpital si familier aux fans de la série, avec ses infirmières démembrées et ses chambres décrépies. Et là, c’est l’orgie : on s’engouffre, sans espoir de retour, au plus profond d’un univers déliquescent et crépusculaire, qui tire petit à petit vers le rouge vif, dégueulant le sang et les chairs en putréfaction, beuglant des litanies cannibalo-indus qui nous martèlent le crâne. Très peu d’accalmies dans cette débauche d’immondices : le jeu est difficile, multipliant les dangers, les morts subites et restreignant les munitions et les kits de santé. C’est éprouvant, répulsif, mais paradoxalement attractif et… séduisant.

Pourtant, malgré cette deuxième partie délicieusement horrifique, on ne peut s’empêcher de se sentir lésé. Suite directe du premier opus, contrairement au second qui préférait se situer « hors-temps », Silent Hill 3 creuse le même sillon du fantastique bondieusard et délaisse l’horreur plus cérébrale et suggestive de Silent Hill 2. En optant pour un scénario beaucoup plus limpide, la Silent Team a pris le risque de « rationnaliser » la série. Du coup, on a parfois l’impression d’assister à une série de happenings arty-glauques un peu gratuits, sans autres justifications que celle d’injecter à haute dose de l’angoisse trop calibrée pour être honnête dans le cortex du joueur. C’est efficace, on peut difficilement prétendre le contraire. Mais passé le cap du malaise et de la fascination pour la fange, on cherche en vain cette abyssale désespérance qui s’abritait derrière les brumes plus oniriques de Silent Hill 2. La longue course introductive dans le brouillard, la « révélation » dans la chambre d’hôtel, l’omniprésence de cet inoubliable bourreau au casque pyramidal, cet irrésistible appel du Néant… Il faut se rendre à l’évidence : nos souvenirs de l’épisode précédent sont bien plus poignants que cette visite touristique un peu vaine du mental torturé des créateurs du jeu.

(1) … « simplettes » en mode normal… « Silent Hill 3 » propose en effet , à l’instar de l’épisode précédent, deux modes de difficulté distincts, l’un pour l’action, l’autre pour la réflexion. Les énigmes en hard requièrent, en sus d’une certaine aptitude à la logique, un bagage culturel minimal.