« La Jeune-Fille est la marchandise qui exige à chaque instant d’être consommée, car à chaque instant elle se périme ». (Premier matériaux pour une théorie de la jeune fille, de Tiqqun, Ed. des Milles et une Nuits). Dès le dernier E3, et ses premiers trailers gonflés, on savait à quoi s’attendre. Rumble roses serait racoleur, vulgaire et sans doute injouable. Dix mois plus tard, il nous parvient accompagné de préservatifs Manix et barré de cette injonction : « prenez les choses en main ». Faut-il vraiment lui trouver un intérêt ? Pas nécessairement, tant Rumble roses reproduit à merveille les composantes du « plus vieux métier du monde », pour mieux faire rebondir les formes d’un jeu de baston mal fichu mais graveleux.

« La Jeune-Fille est le lieu où la marchandise et l’humain coexistent de façon apparemment non-contradictoire ». Levons tout de suite une hypocrisie toute journalistique. Oui, j’ai bandé sur Rumble roses. Cent fois, oui, j’ai pris mon pad ! Et ce n’est pas un moyen stylistique et roublard d’exprimer le plaisir de jouer, juste un pur constat physique. On voit dans ce défilé vulgaire, racoleur et outrancié les outils de sa jouissance. Et on n’en tire ni honte ni regret, juste une expérience troublante. Par ailleurs, à la différence des extravagances créatives d’un Metal gear solid 3 ou du minimalisme assumé d’Animal crossing, Rumble roses ne réclame aucun effort de projection de la part du joueur. Deux yeux et un pénis suffisent. Bien entendu, un minimum d’objectivité et de déontologie nous forcerait à nous sentir souillé, utilisé, réduit à nos plus bas instincts. A vomir la fange plutôt que de vanter le confort du lupanar. Quelques confrères castrateurs s’en sont très bien chargés, oubliant, au passage, d’écouter 15 à 20 cm de leur personne.

« Chez la Jeune-Fille, la superficialité de tous les rapports est cause de la superficialité de l’être ». On jubile et l’on jouit dans Rumble roses, mais est-ce qu’on joue ? Non, on ne joue pas vraiment, on déclenche des poses. Un kama-sutra guerrier provoqué par une combinaison anti-instinctive de touches. Alors qu’importe si les premières heures de jeu font plus office de bizutage que de lent dépucelage. De la belle pose émerge l’érection et ça prendra le temps qu’il faudra. Ce n’est plus du gameplay mais un code, un timing, un artifice de la jouissance. Pour les peine-à-jouir, les options de Rumble roses transpirent le Viagra. Tout est là pour accélérer ce moment propice (Humiliation, Coup Fatal, Killer move) où notre avatar-amazone mettra à genou son opposante offerte. Dans ces moments-là, Rumble roses s’offre au joueur comme la page centrale de Penthouse quand on a 10 ans et demi. C’est un nouveau monde.

« La valeur de la Jeune-Fille n’apparaît que dans son rapport à une autre Jeune-Fille ». D’ailleurs, Rumble roses se joue à plusieurs niveaux. Sado-masochisme ? On tire son plaisir à tirailler les membres autant qu’à se faire tirailler. Mais, en position soumise, le rapport à l’autre est coercitif et nous prive d’une éventuelle relation avec une nouvelle catcheuse. Si l’on ne se débat pas, on ne goûtera pas au corps de la prochaine. Ainsi, on sacrifie parfois à la sensualité immédiate, le goût de la rencontre. Rumble roses stylise et sensualise jusqu’aux erreurs du joueur, et assume tous les tabous, y compris celui de prendre plaisir à voir la chair meurtrie. Il n’existe pas d’autres jeux rendant l’échec et la soumission du joueur plus excitants. L’autre niveau de jeu est celui de la fesse cachée, celle du double. Chaque personnage se voit doublé d’une version maléfique. Et le joueur d’observer de troublants corps à corps « gentille contre méchante » d’une même identité, soit deux déclinaisons d’un même fantasme. De mélanger Fight et Fuck club dans une même danse bestiale et dérangée.

« La Jeune-Fille est la marchandise qui prétend être meilleure que les humains ». Rien de plus normal, donc, que de découvrir en lieu et place de boss final du mode histoire une femme robot sans véritable atout physique. Car au final le jeu n’est que cela : une exhibition un brin voilée mais jamais prude de la sensualité numérique à venir. Le spectacle de la domination comme celui du plaisir masochiste est toujours mis en scène sur la base du fantasme vulgaire. Ce qui, en soi, n’a rien d’une critique. Considérant la nouveauté du procédé, on s’en félicite. Pervers ou conscient de ses limites, Rumble roses maintient la tension sans jamais l’évacuer, réservant à l’intimité du joueur le moment de vérité, le destin de son orgasme. Offgame, donc.

« Parfois, la Jeune-Fille est prise d’angoisse, la valeur du cul ne serait pas objective ». Jeu de charme soft ou escroquerie pour jeunes pubères ? Les deux. Et les amateurs de grand jeu de catch passeront aimablement leur chemin. On saluera quand même les trésors d’imagination qu’illustrent les poses pour tenir la promesse étriquée d’un jeu de cul sans nu. Où le corps à corps symbolise benoîtement l’ébat et où l’ultime rencontre est celui du joueur face à la machine. Rumble roses est aussi une promesse qu’on n’oserait pas écrire. On sait qu’on n’est plus qu’à quelques années de la « grande machine », cette petite amie numérique et docile bientôt distribué par AOL et sponsorisé par ATI sur tous les terminaux du monde. Une « grande machine » tellement à même de perfuser leurs fantasmes à tous les mâles connectés qu’elle en devient inquiétante.