La définition de l’horreur moderne, si l’on en croit la profusion cinématographique du genre (rarement brillant) et du torture-porn, c’est moins d’encourager une peur cérébrale, de provoquer des vertiges spéculatifs que de mettre le spectateur à l’épreuve du spectacle de la barbarie pure. Sans prendre (fort heureusement) la tendance au pied de la lettre, Resident evil, dans son incarnation moderne, fonctionne tout entier sur une logique poussive visant à mettre le joueur dans une position stressante similaire par le surnombre d’ennemis. D’où sans doute, ce je-m’en-foutisme affiché de savoir quel ennemi on affronte. Des zombies ? Des infectés ? Des chinois avec des masques rigolos ? Des rebelles d’Europe de l’est ? Ne semble plus guère compter que leur qualité de pression, d’encerclement. Oh bien sûr, on s’émerveille encore ici ou là, de la qualité des transformations physiques de certains « mutants ». Mais dans le fond, et à la faveur d’un rééquilibrage qui privilégie le corps à corps, le méchant locataire de 2012 n’est rarement plus qu’une piñata dont il faut soigneusement éclater la face, plus pour le plaisir que par souci d’économiser des munitions.

Est-il pourtant si loin de nous le grand méchant style de l’horreur occidentale synthétisée autrefois par la science experte de Shinji Mikami (créateur et producteur de la série jusqu’à son quatrième épisode) ? Non, il est bien là en monsieur loyal d’une traversée dantesque d’une petite ville en voie d’infection. Il nous harcèle encore par ses boss fights longs, d’un spectaculaire impeccable. Il nous rappelle à son bon souvenir par certaines fulgurances esthétiques dans des décors conformes à ses thématiques éternelles (les laboratoires déshumanisés, les demeures gothiques…). Il nous fait encore des clins d’oeil dans le rétro de son scénario blockbuster sympathiquement idiot et ses dialogues con-concernés. Il se réinvente (et brillamment !) au présent en transformant son goût originel pour le scénario chorale en occasion de co-op en ligne. Puis il s’éloigne, son ADN se défait dans un déluge de QTE et d’événements scriptés. Il se fourvoie en empruntant une interface en temps réel à la Dead space, à côté de la plaque car illégitime. Il imite la modernité avec la grâce d’un kilo d’abats de boucher dansant le lac des cygnes quand il intègre des séquences de conduite de véhicules. Il persévère encore et de mille façons pour faire croire à une jeunesse qu’il voudrait éternelle.

Resident evil 6 fascine par sa profusion, et agace par ses multiples errements. Il n’est peut-être rien de plus que ce que l’on en pense. Dans une fuite en avant vers une modernité douloureuse, et un pied dans la tombe d’une tradition bon ton, cet épisode ingrat est de ces zombies qu’il nous invite à combattre. Ni mort ni vivant, et impossible à ignorer.