Depuis l’enfouissement mythologique dans le désert de l’atroce E.T. et de la chute d’Atari en 1983, les « jeux à licence » ont parcouru un bon bout de chemin. D’un gage systématique d’adaptation de piètre qualité aux titres ovationnés par la critique, les jeux s’inspirant de franchises préexistantes ont indéniablement progressé en ambition. Il y a encore quelques années, on pouvait les présumer partie intégrante du budget marketing d’un film ou d’un manga à succès. Evidemment, cela n’empêchait pas à certaines réalisations de se démarquer de la masse putride. Aladdin, Dragon Ball, Batman ou le Seigneur des Anneaux furent partie des quelques IP qui se réfugièrent en quelques lieux saints épargnés par la fainéantise et l’insipidité.

Seulement dorénavant, la norme ne tolère plus la fadeur des adaptations qui s’enchainent et se contentent docilement d’exécuter le cahier des charges de l’éditeur, traiteur du mauvais goût. Avec pour meneur, à l’est CyberConnect 2 et ses Naruto Ultimate Ninja Storm énervés, à l’ouest Telltale et son Walking Dead traumatisant, le mouvement de revigoration des transpositions vidéo-ludiques d’anciennes licences s’est fait sentir, providentiel, comme une véritable bouffée d’air frais. En ce sens, le One Piece Unlimited World Red de Ganbarion est un cas d’école.

Véritable Battle Royal choral que l’on aurait fait passer à la moulinette du shonen, la production nippone ne fait pas l’économie des moyens et espère bien convaincre le joueur par un déluge ludique et visuel. Dès les premières minutes, la fourmilière de possibilités (craft, quêtes, mode arène, personnages à débloquer, etc) instaure un nouveau standard de potentiel pour les adaptations de mangas. Puis, sans transition aucune, World Red nous pousse tête en avant sur la piste mouvementée de l’équipage de Mugiwara no Luffy. Ce ne sera dès lors qu’exploration, découverte et expérimentations dans un revêtement convaincant.

Car à l’instar de ses ainés affublés du même « Unlimited », World Red reprend à son compte l’arôme d’aventure qui embaume le manga comme l’exhalaison du fumier donne son cachet authentique à l’air campagnard. Avec Eiichiro Oda lui-même à la supervision et à l’écriture, Ganbarion s’est assuré une réalisation fidèle à l’esprit de l’œuvre, dans la droite lignée des stratégies des jeux à licence les plus bankables du moment (Paul Dini à l’écriture sur Batman Arkham Asylum par exemple). Pour le fan, ça sera évidemment l’occasion de repasser par les endroits les plus emblématiques de l’univers maillé par le maitre depuis des années, et bien sûr de foutre une ou deux paires de baffes aux principaux antagonistes dans des duels au sommet.

Maintenant, si One Piece Unlimited World Red mérite que l’on s’arrête un instant sur lui, ce n’est pas pour ses bastons où son exploration pris à part, mais bien pour la façon dont l’hybridation ludique dont il est victime entre en résonance avec son atmosphère et son propos. World Red est un véritable enfant du jeu vidéo, combinant des mécaniques empruntées au J-RPG, avec un flot d’actions contextuelles et des mécaniques de simplification tout droit issues des blockbusters occidentaux. En coupant et diluant de la sorte son gameplay – trop lourd sur les précédents épisodes -, rendant ainsi digeste l’aspect gestion, Ganbarion est parvenu à réaliser une mécanique harmonieuse qui permet à l’aventure de s’exprimer pleinement sur un continuum fluide et ininterrompu. L’équipée de nos trublions des sept mers n’a que plus de résonance dans un écrin travaillé et ajusté (à quatre reprises depuis le début de la saga Unlimited) pour leur odyssée pirate. Tel South Park : The Stick of Truth avant lui, World Red représente finalement cette génération intelligente et bienveillante du jeu à licence : au service du fan, accueillant le néophyte, héritant et canalisant une tradition composite du jeu vidéo.