S’achevant au choix sur une magnifique impasse sémantique (l’open world comme paradis des tueurs mais dont nul ne peut s’échapper à l’exception du joueur) et scénaristique (la multiplication roublarde des révélations liées au passé du protagoniste principal dans un vertige réduisant à néant l’idée même d’histoire pour mieux hisser celle du contexte et une vision radicale, émergente – franchement géniale et inédite – de la construction des personnages), No more heroes n’appelait aucune suite.

Dés lors, sans doute était-il prévisible, à défaut d’être souhaitable, qu’entre Travis Touchdown et nous, les retrouvailles se passent aussi mal. Passée l’alléchante introduction nous replongeant dans l’ambiance si particulière de la Californie pop fantasmée de Suda51 (lire notre interview), la proposition de jeu de Desperate struggle paraît trop segmentée, maladroitement recalibrée. A commencer par des mini jeux / mini job tirant sur le fil usé et usant du rétro 8 bits, ratés pour la plupart, inintéressants quand ils ne sont pas purement et simplement injouables. Adieu également à la ville de Santa Destroy en monde ouvert, ses ballades pauvres en à-côtés mais contemplatives et innervées par un sens du panorama qui faisait honneur à l’énergie esthétique du studio Grasshopper. Contre-sens total, Travis est désormais obligé de marcher à l’intérieur de la poignée de bâtiments (il y fait ses emplettes et augmente ses capacités) quand des menus simples et célères complétaient autrement mieux, dans le premier épisode, cet appareil fonctionnel. Autre choix malheureux : les jobs d’assassinats ne sont plus jouables qu’une seule fois. Autant de raison de lever un poing rageur… Mais que sont nos « No more heroes » devenus ?

Un plan de rigueur (politiquement gerbeant donc) qui vient jusqu’à détruire les fondamentaux conceptuels d’une magnifique réflexion sur le coût réel ou fantasmé de l’être assassin. En écho scénaristique de cette reformulation étrange, le grand méchant de l’histoire est un magna de la pizza à emporter et Santa Destroy, la proie des spéculateurs. Des symboles sans doute peu innocents – les orientations scénaristiques de Suda51 ne le sont jamais – dans ce qui paraît de prime abord qu’une vulgaire oeuvre de commande. Ainsi, Travis reprend sa course vers le sommet de l’union des assassins pour venger son ami Bishop (patron du vidéoclub où Travis louait ses films de boules) et accessoirement (re)horizontaliser Sylvia Kristel.

En réalité, au scénario prétexte de la vengeance (quand le premier No more heroes proposait une histoire contextuellement plus riche) répond une concentration adroite de la proposition de jeu vers ses postulats de base. L’intensité d’un combat énergiquement portée par une utilisation pogo de la Wiimote. Et à ce titre, non seulement cette séquelle ne déçoit jamais mais elle porte encore plus haut l’art du duel au sabre. Oui, les jeux 8bits, les emplettes, faire maigrir son chat… bref, tous les à-côtés – brillamment mis au service d’un propos doux amer sur la relation identitaire avatar-joueur dans le premier épisode – se trouvent ici réduits à l’état de distractions oiseuses mais la puissance des affrontements de NMH2 synthétise en quelques minutes un art de l’épure acquis aux forceps. La Suda51’s touch s’est construite autour du jeu d’action-aventure aux ramifications gameplay-scénario tentaculaires (Flower sun and rain, Killer7 pour ne citer qu’eux) à côté duquel les boss fight de No more heroes font office de démonstration de pureté minimaliste : un terrifiant ogre masqué dans une maison hantée, une lycéenne flûtiste amoureuse, une lolita mecha échappée d’un rêve d’anime, une prisonnière génétiquement modifiée… Si les bases de l’art du combat demeurent les mêmes, la majorité des affrontements apporte un pattern inédit et un contexte pop culturel fécond. En acmée de ses 51 boss (en réalité beaucoup moins par la grâce de quelques savoureux plot twist), Margaret Moonlight, lolita goth fatale, au thème musical inusable, restera sans doute dans les mémoires comme un pur moment de rock’n roll et la synthèse parfaite de cet – hélas – ultime épisode des aventures de l’otaku Travis : le talent narratif de raconter l’ennemi par sa panoplie, par le monde dans lequel il nous défie, par le danger érotique de son corps, par le regret sincère de devoir lui prendre la vie quand on a rarement éprouvé à son contact plus ensorcelant ballet.