La longévité de Mortal Kombat a quelque chose d’insolent. Malgré un violent passage à vide sur PS2, la prégnance dans la culture populaire des fatalities absurdes et du scénario nanar a permis un reboot en forme de retour aux sources en 2011, point de départ de la suite sortie cette année. Entre ces deux moutures cependant, le jeu indépendant a explosé et les développeurs ont redoublé d’imagination pour subvertir la violence de bien des manières, cassant de fait le monopole de la série au K sur la transgression ludique. Mortal Kombat X, l’épisode de trop ?

L’histoire, tout le monde la connait. Sans Mortal Kombat, il n’y aurait pas d’ESRB, l’organisme américain de régulation des jeux vidéo qui tamponne voire censure les galettes un peu trop sulfureuses. La saga doit d’ailleurs peut-être plus son succès initial à sa réputation de fauteuse de trouble, amplifiée par les pouvoirs publics, qu’à une quelconque sophistication des mécaniques. Ceux qui ont un jour incarné Raiden ou Sub-Zero pour la première fois peuvent en témoigner : on matraque les boutons un peu au petit bonheur la chance, puis on lance la petite séquence trash qui va bien d’un coup de gâchette, la fameuse fatality.

Si on ne peut évidemment résumer Mortal Kombat aux effluves de sang et aux têtes arrachées – cervicales comprises, la cruauté des fatalities est vite devenue le premier critère d’achat de bien des joueurs, comme le prouve l’engouement pour ces scénettes sur les réseaux sociaux. Ce qui du point de vue du joueur représente une signature jouissive et cathartique, n’est rien d’autre que le fond de commerce et le tract de campagne de NetherRealm Studios. MidWay l’avait compris à l’époque, tout bon marketing se fonde sur un élément différenciateur et sur sa force d’évocation auprès du public visé. Mortal Kombat s’est démarqué parce qu’il a fait une promesse que personne d’autre dans l’industrie policée du jeu vidéo ne s’est permis de faire : la stylisation crétine et libératrice d’une mort sanglante et douloureuse. Quand les jeux de combat japonais font l’éloge du fairplay et du respect de l’adversaire dans des joutes pyrotechniques aux teintes fluorescentes, Mortal Kombat charcute et éviscère dans des caves. Le corps du combattant n’est qu’un morceau de viande qu’on se dispute, sans honneur et sans vergogne.

D’épisode en épisode, en dépit de quelques variations (les épisodes PS2), ces fondations ne changent pas, Mortal Kombat X y compris. On pourrait évidemment parler des nouveautés de ce titre, de la fraicheur de son mode en ligne qui s’inspire des guildes du MMORPG, du soin apporté au roster, mais rien de tout cela n’est finalement pertinent quand on se vend sur la même recette subversive que ses ainés. Cette obstination marketing fut la principale erreur de NetherRealm. En persistant à répliquer son modèle économique, Mortal Kombat s’est réfugié dans le ronronnement de sa petite rébellion qui, si elle était encore appropriée à l’époque de la sortie du neuvième épisode, ne représente plus en 2015 cette avant-garde un peu racaille.

Entretemps, le jeu indé a pris le relai, pour le meilleur comme pour le pire. Hotline Miami, Payday, Hatred, The Slaughtering Grounds… même s’ils doivent tous quelque chose à Mortal Kombat, ils sont venus remettre en question la mainmise de la saga sur le marché de la violence gratuite, surfaite et stylisée, au point d’être dorénavant en première ligne, même en termes de vente. Le sursaut de créativité amené par la scène indépendante et le dédain pour les barrières éthiques et morales communément admises que cela entraine a ouvert en grand les vannes du politiquement incorrect.

L’apparition de ce jeu alternatif libéré des fers des communicants a autorisé le sadisme et la brutalité à s’exprimer de manière plus sincère et crue que dans le spectacle de clowns que Mortal Kombat a toujours été contraint d’être. Sous l’autodérision des campagnes solo aux scénarios expressément navrants, on discernait toujours un fond d’autocensure, comme une noix de pommade après la brûlure des fatalities. A l’image de cette cut-scène du X, où un des héros préfère assommer ses adversaires plutôt que de les achever, comble de l’hypocrisie. Pendant ce temps, personne ne survit dans le défouloir Hotline Miami. Ainsi ringardisé par une sincère fascination gore et sulfureuse qui s’exprime sans filtre dans le jeu indé, NetherRealm a répondu dans Mortal Kombat X de la plus plate des manières, en se contentant d’aligner ses exécutions cinématiques sans ingéniosité ni relief, comme autant de boites déjà cochées sur le cahier des charges de 1992.

1 commentaire

  1. je croyais la série des MK prise au énième degré depuis l’épisode 3… sinon à quel moment parle-t-on du gameplay ? Je n’ai pas testé le jeu mais les retours de la presse spécialisée (indépendante ou non) sont plutôt très bons, je trouve donc étonnant de baser toute la critique du jeu sur son marketing uniquement, particulièrement pour du versus fighting pour lequel l’amateur s’attache surtout aux sensations de jeu plutôt que sur le scénario.

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