Tout d’abord, un fond d’écran noir. Puis des mots, ceux de Jean-Jacques Rousseau, au comportement étonnant : ils s’animent d’eux-mêmes, semblent fuir le curseur pour disparaître complètement. Pour mieux réapparaître en vérité, et recomposer un nouvel extrait des Confessions ou des Rêveries du promeneur solitaire, deux récits autobiographiques de l’auteur genevois. A leur côté, une séquence vidéo interactive, différente à chaque extrait (80 vidéos au total), prolonge l’impression d’étrangeté. Les images et les sons y semblent hésitants. Si vous restez inactifs, si vous ne vous intéressez pas à eux, ils ne bougent pas, se maintenant dans une lancinante répétition. La première réussite de ce CD-Rom est ainsi de suspendre le temps à des moments d’étonnement. Précisément, ces Moments de Jean-Jacques Rousseau que l’auteur, Jean-Louis Boissier, professeur d’esthétique à l’université Paris-VIII, nous invite à redécouvrir.

On imagine la gageure que peut représenter un tel objectif : pourquoi un CD-Rom puisqu’il y a les livres ? Pourquoi, si ce n’est pour nous en éloigner ? Il n’en est rien : le CD-Rom, tout d’abord, contient les deux œuvres en texte intégral, dans l’édition de la Pléiade s’il vous plaît ! Certes, la lecture sur écran n’est guère pratique. Pourtant, la seconde réussite de ce titre consiste justement à nous rapprocher encore plus du texte de Rousseau en le rendant actuel et interactif. Les vidéos s’ingénient avec humour ou finesse à ouvrir dans notre monde actuel des brèches par où le texte de Rousseau surgit, entre en résonance. Et construisent au final des passerelles entre les deux époques : « Lac Léman, août 1744 ; Lac Léman, 24 août 1997 ». Les mots et les images se répondent. Ils s’entrechoquent aussi, se brutalisent : par exemple lorsque la modernité des éléments filmés (le TGV J.-J. Rousseau) vient au contact du texte d’époque, dont l’orthographe a aujourd’hui disparu. C’est finalement à une belle rêverie sur les mots et les images, sur le temps et la modernité, sur les sensations et les réflexions intimes, que nous convie Jean-Louis Boissier. Et l’on s’étonne de voir la facilité avec laquelle la technologie du média s’efface derrière le plaisir de la consultation. On ne sait plus d’où nous viennent ces rires légers de jeunes filles filmées aujourd’hui dans des tenues inspirées de celles du XVIIIe siècle. On opère ainsi un perpétuel va-et-vient entre les deux époques, entre le texte et nous. Pari gagné : nous partageons les Moments de Jean-Jacques Rousseau.