« Un jeu avec des caméras pourries, des gardes amnésiques et une maniabilité de merde, je suis désolé, je ne vois pas comment on peut l’encenser à ce point. Alors il y a Kojima, une armée de fanboys et tout le monde est prêt à lui pardonner n’importe quoi sous prétexte que c’est Metal gear solid.La vérité, c’est que c’est bourré de bugs, rigide à en pleurer… Ca n’en vaut pas la peine, c’est tout. » Ce qui n’est pas tout à fait faux. Mon ami Gianni n’y va pas par quatre chemins quand on lui pose la question : il ne peut pas blairer les aventures de Snake. A raison. Et il n’en faudrait pas plus pour soulever une petite bataille d’Hernani autour de la série phare de Kojima. Car il y a bien un problème Metal gear solid entre le public et la critique, entre la critique et Kojima, entre Kojima et les joueurs, entre Snake et les joueurs, et Raiden, et la critique, et Kojima. Comment vous expliquer…

Prince of Persia : The Sands of time (PoP) est souvent considéré comme un chef-d’oeuvre. PoP, plus que tout autre titre, prend le joueur par la main pour l’inviter à poursuivre le jeu. Chaque nouvelle salle y est dévoilée via un mouvement de caméra gracieux, un indice visuel qui nous mâche le travail et anéantit toute possibilité d’exploration. Le principe de manipulation du temps y est en rupture absolue avec les canons de la plate-forme classique, où chaque niveau n’existe que comme la somme de ses difficultés. Vous ne vous souvenez probablement pas du relief du niveau 8-1 de Super Mario Bros, mais vous n’oublierez jamais le double saut à pleine vitesse qu’imposait ces deux gouffres séparés par un minuscule bout de décor. Revenir au début du niveau jusqu’à ce point précis… et échouer une nouvelle fois. Pour recommencer, jusqu’à satisfaction. Le saut de PoP n’existe pas. Quelle que soit la difficulté, une simple pression sur la gâchette droite suffit à revenir en arrière pour reprendre la séquence au moment où tout à basculé. C’est instantané, il n’y a aucune frustration. Ce jeu vous aime sans rien demander en retour, il suffit simplement de suivre la voie royale qu’il trace, salle après salle.

MGS court dans la direction opposée, poursuivi par une dizaine de gardes, un cosmonaute pyromane et un perroquet récurrent dont la symbolique demeure obscure. MGS existe en parallèle du reste de la production ludique, dans un espace étrange qui lui est propre. Il génère à chaque épisode des torrents de fiel quant à ses faiblesses structurelles, son casting improbable et excessif, tout en ralliant à sa bannière une bonne partie des joueurs console, du cognoscenti sous perfusion Gamasutra au débutant franchement débarqué de l’ère PS1. Ce pouvoir de fascination, on peine à se l’expliquer. Ca touche, à vrai dire, à l’essence même du jeu vidéo, à nos convictions profondes sur le médium, sur ce qu’on en attend et sur ce qu’il y a à en tirer. C’est du domaine de l’intime: une connexion étrange a lieu qui fait naître une sympathie particulière et tout à fait unique dans le panorama vidéoludique actuelle. Jusqu’à l’idolâtrie, parfois. Je voue une admiration sans borne au travail d’Hideo Kojima. Dit comme ça, tout de go, ce n’est peut-être pas très malin. Si en ce mois de mars chargé en actualité vidéoludique vous hésitez entre Snake eater et un autre titre, si vous pensez que ces 60 euros pourraient être dépensés d’une manière plus utile, la lecture de ce texte ne vous rendra pas service. Le test de Gamekult est solide, impartial et plus à même de vous renseigner sur les faux-pas du titre. Et Dieu sait qu’il en commet. Au bout du compte, aimer MGS, c’est expliquer pourquoi on n’en a rien à foutre.

Lors de sa récente venue à Paris, Kojima a bien voulu relater la genèse d’une séquence étrange et déstabilisante de Snake eater, qui nous voit escalader une échelle pendant plus de deux minutes sans jamais en voir la fin. « Il s’agit avant tout d’une épreuve destinée à tester l’amour du joueur pour MGS. Si le joueur abandonne et décide de rebrousser chemin,il ne verra jamais la fin du jeu. Mais si le joueur aime vraiment MGS, alors, quoi qu’il arrive, il continue ». Des équipes de testeurs sont chargées d’évaluer la difficulté d’un jeu avant sa sortie publique. Après quoi on tranche, coupe, règle les passages les plus ardus pour s’assurer que le coeur de cible ne baissera pas les bras. On peut choisir délibérément de s’adresser au pratiquant aguerri et multiplier les difficultés comme Itagaki dans Ninja gaiden. On peut aussi faire preuve d’une infinie délicatesse et caresser le joueur dans le sens du poil comme dans PoP. Tout cela résulte de questions de gameplay, d’interactivité, d’actions à accomplir et de prouesses une fois la manette en main. Les difficultés que nous présentent Kojima sont évasives. Aucun boss de Metal gear solid 3 n’oblige à s’y reprendre à dix fois et le plus retors peut être anéanti quelques heures avant l’affrontement par un tir bien ajusté. Dans MGS, on peut courir d’une zone à l’autre en état d’alerte et mourir… pour ressusciter comme si de rien était. On aurait tôt fait d’y voir une oeuvre bancale et inaboutie. Pourtant, il y a l’échelle. Ninja gaiden teste sans relâche la volonté du joueur. Dodonpachi teste sans relâche la volonté du joueur. Defender teste sans relâche la volonté du joueur. Ce sont des titres volontairement excessifs, et rares sont ceux qui peuvent prétendre les maîtriser. Dans MGS 3, la difficulté s’incarne en la personne d’une putain d’échelle un peu trop longue: il suffit d’un doigt appuyant fermement sur la touche haut pour en venir à bout. Il suffit d’y croire. C’est un acte de foi. Kojima créé hors des cadres classiques. Et s’il commet des erreurs factuelles, elles sont insignifiantes au regard du jeu dans sa globalité. Parce que jouer à MGS ne se résumera jamais à en apprécier les caméras, l’interface ou l’IA des gardes. Si on aime vraiment le jeu, alors, quoi qu’il arrive, on continue.

Prenons le Codec, la radio qui permet une communication entre le joueur et son commandement ou ses guides de mission. Récemment, Resident evil 4 s’est laissé aller aux joies du talkie-walkie. On pourrait y voir un défi à MGS, or il n’en est rien. L’utilisation du Codec dans RE4 joue l’utilitarisme faiblard: des bribes de discussions qui poussent mollement la trame narrative. Le Codec de MGS 3 est un putain d’index qu’il ne tient qu’au jouer d’explorer. Chaque animal, chaque arme, chaque situation y est décortiqué lors de dialogues référentiels dispensés pour le seul plaisir du fan. D’aucuns avancent que cela n’a rien à voir avec le plaisir de jeu. C’est là le point crucial du problème MGS : comment un titre peut-il construire patiemment une expérience ludique qui ne participe pas de l’action ? Il suffit pour y répondre de se pencher sur les jeux d’aventure textuels qui fleurissaient avant l’invention du « point’n’click » par Maniac mansion. Le plaisir de la narration interactive est cérébral. On nous relate une situation sur laquelle on peut interagir par le biais d’une grammaire rudimentaire. MGS repose sur une grammaire de situation: à chaque moment, le joueur peut choisir d’activer le Codec pour discuter d’un événement en temps réel. Je capture une nouvelle espèce animale pour en apprendre les origines grâce à Paramedic. Je récupère une nouvelle arme et Sigint m’en décrit le fonctionnement. Tout ce superflu de l’expérience ludique, tout ces dialogues qui nous poussent bon-an mal-an vers la prochaine phase d’action sont autant d’éléments cruciaux qui servent l’appréciation de l’oeuvre d’Hideo Kojima. Une ode au superflu, une ode à l’inutile, une ode à l’à-côté.

Ne voyez-vous pas qu’il n’y a finalement pas grand-chose dans ce jeu qui mérite d’être pris au sérieux ? Pour un peu qu’on gratte son vernis hollywoodien, Snake eater s’en fout. Regardez au-delà de sa renommée internationale, au-delà de son créateur-démiurge-mégalo-cinéphage, au-delà de son plan com’ mastodonte. Laissez filer les slogans: la survie, la guerre froide, tout ça on s’en balance. En mars 2005, Snake eater s’impose comme le seul concurrent crédible à GTA. Un GTA concentré, recroquevillé sur lui-même, où la notion d’espace a cédé la place à une profusion de gadgets à disposition du joueur enthousiaste. Chaque environnement, chaque combat de boss n’est plus qu’un jouet laissé négligemment entre nos mains. Lui reprocher d’être trop linéaire ou trop exiguë, c’est manquer cruellement d’imagination. Tout est là: des boîtes en carton pour se planquer, des animaux à chasser, des ruches à faire tomber sur ses adversaires, des déguisements, des troncs d’arbres creux. Le monde de Kojima est un bac à sable dans lequel nos genoux s’écorchent, où tout le monde joue à cache-cache et où l’on s’écroule en fermant les yeux, un sourire aux lèvres.